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L’état de la province était lamentable. Telle avait été l’incurie de l’administration autrichienne qu’on trouvait en cent endroits la trace de ruines accumulées, un siècle auparavant, par la guerre de trente ans : dans les campagnes, des fermes abandonnées, dans les villes des quartiers ruinés, portant sur les murs noircis des maisons la marque de l’incendie. L’année même de la paix de Dresde, deux édits royaux appelèrent des colons, et bientôt les villages de la montagne se peuplèrent de fileurs qui blanchirent leurs toiles à l’eau des rivières, et les jours de marché remplirent les places de petites villes comme Hirschberg, Landshut, Waldenburg, dont la prospérité s’accrut tous les jours. En 1759 et en 1762, de nouveaux édits spécialement appliqués à la Silésie provoquèrent une immigration en masse.

Ici comme en Brandebourg, le travail fut interrompu par la guerre de sept ans, si glorieusement soutenue par Frédéric, précisément pour la défense de cette province que la reine de Hongrie ne pouvait se consoler d’avoir perdue. On sait que Marie-Thérèse aimait la Silésie au point qu’elle ne pouvait retenir ses larmes à la vue d’un Silésien ! Frédéric aimait aussi cette province, non point de cette sentimentale affection, mais de l’ardent amour d’un avare qui a conquis un trésor sans prix et qui a tremblé un moment qu’on ne l’arrachât de ses mains. Dès qu’il fut hors d’inquiétude, il se remit à l’ouvrage. Prix de la victoire, la Silésie avait été le théâtre principal de la guerre ; c’est-à-dire qu’elle en était sortie méconnaissable. Pour de si grands maux, Frédéric voulut de grands remèdes. Il alla visiter, comme il disait, « l’enfant qui lui était né dans la douleur. » Rien ne put échapper à cet œil largement ouvert, à la fois énergique et lucide, qui voulait tout voir, et, par un don de nature, voyait toutes choses. Le roi devinait pour ainsi dire la qualité des terrains, comme eût fait l’agriculteur le plus exercé. Sa correspondance avec le gouverneur de la Silésie semble celle d’un grand propriétaire avec son régisseur. « Voyez un peu, écrit-il un jour, s’il n’y a pas lieu d’entreprendre des travaux considérables et qui promettent un bon revenu, comme desséchemens de marais… Je crois être sûr qu’il y a quelque chose à faire, par exemple à Oppeln et dans les environs. — Il n’y a rien à faire, répond le gouverneur : le sol est tourbeux ; on n’y trouverait pas de quoi nourrir un colon. — Pensez-y tout de même, réplique le roi, et tenez en réserve l’argent nécessaire. » L’année suivante, nouvelle objurgation au gouverneur, nouvelles doléances de celui-ci sur la mauvaise nature du sol. « Donnez-vous donc la peine, écrit le roi, d’examiner le terrain soigneusement, au lieu de parler ainsi à la légère, et faites-vous aider par des gens qui s’y connaissent. » Or il se trouva que Frédéric avait raison, car l’agriculture finit par faire d’immenses