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étaient vives entre les deux confessions qui se trouvaient en présence, et les protestans, longtemps opprimés, croyaient le moment venu de la revanche ; mais Frédéric ménagea les catholiques. Tout en réduisant le nombre des jours fériés, qui étaient fort nombreux et qui causaient une perte de travail qu’un contemporain évalue à 5,100,000 journées pour dix fêtes et deux pèlerinages, il traita le clergé catholique avec beaucoup d’égards, laissant même, par un privilège inouï dans ses états, le droit de battre monnaie au prince-évêque de Breslau. Il ne toléra aucune atteinte à la liberté de conscience. Un jour, c’était au lendemain de la bataille de Striegau, — comme il se trouvait à Landshut, — 2,000 paysans vinrent le trouver, et, l’entourant, lui demandèrent de leur accorder seulement « la très gracieuse permission de mettre à mort tous les catholiques des environs. » Le roi philosophe eut alors une inspiration subite. « Aimez vos ennemis, s’écria-t-il, bénissez ceux qui vous maudissent, rendez le bien pour le mal, priez pour ceux qui vous insultent et vous persécutent, si vous voulez être les véritables fils de mon Père qui est au ciel. » Les paysans, qui ne s’attendaient pas à cette réédition du sermon sur la montagne, se retirèrent plus calmes et très édifiés.

Cependant l’immigration avait commencé. D’abord était arrivée l’armée des fonctionnaires prussiens : les commis d’octroi, pour la plupart anciens sous-officiers invalides, que l’on voyait assis et fumant à la porte des villes, assidus au poste de l’aube à la nuit, malgré la médiocrité de leur salaire, — les percepteurs, gardiens fidèles du coffre de bois où ils enfermaient leurs recettes, et qui était le seul ornement de leur modeste bureau. Raides, ponctuels, incorruptibles, ils donnèrent aux Silésiens une haute idée de l’état qui avait de si zélés serviteurs. En même temps qu’eux étaient arrivés les soldats prussiens. L’Autriche n’entretenait que 2,000 hommes dans la province : Frédéric en mit 40,000. Équipés, exercés comme s’ils étaient toujours à la veille d’entrer en campagne, disciplinés à la prussienne, ils firent faire aux habitans, accoutumés à voir les troupes autrichiennes s’endormir dans la vie de garnison, des comparaisons qui n’étaient pas à l’avantage des dernières. La Prusse avait à peine pris possession de sa conquête, et déjà ses nouveaux sujets sentaient que c’était pour l’éternité.

A leur tour arrivèrent les colons. Frédéric avait refusé de s’occuper de colonisation la première année. « D’abord les forteresses ! avait-il dit ; il ne faut pas brûler la chandelle par les deux bouts ! » Le roi de Prusse avait alors d’excellentes raisons pour ne pas faire double dépense : il lui restait, après la conquête de la Silésie, 150,000 thaler pour tout avoir ; mais, dès qu’il put disposer de quelques ressources, il les mit au service de son idée favorite.