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« émissaires et négociateurs d’émigration, » qui devront être « appréhendés au cou sur le moindre soupçon, et, suivant la gravité des circonstances, punis de diverses peines corporelles, même de la mort. » Rien n’y fit. Quand Frédéric avait un intérêt momentané à ménager un prince, il modérait le zèle des recruteurs, mais il était d’une parfaite indifférence pour ceux dont il n’avait rien à craindre ni à espérer. Sa conduite en Pologne fut odieuse ; il tirait de ce malheureux pays tout ce qu’il y pouvait trouver d’ouvriers habiles ou laborieux : c’étaient pour la plupart des Allemands entre les mains desquels était presque toute l’industrie des grandes villes. Les agens prussiens n’y mettaient point de vergogne : « Je fais marcher l’émigration grand train, » écrivait l’un d’eux à Frédéric ; mais il arriva que plusieurs seigneurs s’opposèrent au départ des immigrans. La Prusse était encore en paix avec la Pologne : c’était au mois d’avril 1769 ; le roi fit pourtant partir trois régimens. Cette petite armée, sous prétexte d’aller au-devant d’un convoi de chevaux de remonte, s’avança jusqu’à Posen, et ramena dans ses rangs les fugitifs, après avoir tué ou dispersé une poignée de Polonais qui avaient cherché à lui disputer le passage d’un pont. Ainsi ce n’était pas assez que les calamités de toute sorte dont étaient affligés les pays voisins enrichissent la Prusse, comme la peste « enrichit le noir Achéron. » Quand les sinistres auxiliaires de la propagande prussienne venaient à manquer, Frédéric ne reculait pas devant ces interventions à main armée qui ressemblent fort à du brigandage.


II

Les colons recrutés par ces moyens divers furent répartis entre les provinces de la monarchie prussienne. Parmi les anciennes, la Lithuanie et la Prusse orientale en reçurent au moins 15,000 ; la province de Magdebourg et de Halberstadt, 20,000 ; la Poméranie, 20,000 également ; la Nouvelle-Marche, 24,000 ; mais la plus favorisée fut le Brandebourg, c’est-à-dire le pays qui était immédiatement placé sous le regard de Frédéric, que ce prince aimait comme le berceau véritable de la monarchie, et dont il a voulu écrire l’histoire de sa propre main. Dès son avènement, le roi avait ordonné qu’on lui présentât un « exposé solide et bien travaillé, où l’on rechercherait si jadis, avant la guerre de trente ans, il y avait dans la Marche plus et de plus grands villages qu’aujourd’hui, et où l’on examinerait s’il ne convenait pas d’en créer de nouveaux et d’agrandir les anciens. » On lui répondit, qu’il y avait en Brandebourg plus de villages qu’autrefois, que tout y était pour le mieux, qu’on y pouvait cependant trouver place encore pour