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étaient des victimes du zèle des jésuites, il fit place un beau jour, quand ils eurent été chassés des états catholiques, aux jésuites eux-mêmes.

La persécution religieuse n’était pas le seul fléau qui vînt en aide aux agens de la Prusse. En 1747, la Bohême est en proie à une terrible famine : rapport en est fait aussitôt à Frédéric, qui s’apitoie sur la « mauvaise qualité du pain » mangé par les pauvres Bohémiens, et qui espère que « ses sujets profiteront de la circonstance et réfléchiront aux moyens d’attirer chez eux » quelques-uns des affamés. En 1767, la ville de Lissa, pour la troisième fois depuis un siècle, est détruite par un incendie. « N’y a-t-il pas quelque chose à faire ? » écrit-on à Frédéric. Le roi, sans tarder, publie en allemand et en polonais une patente où, après quelques mots de condoléance sur le malheur qui a frappé la pauvre ville, il déclare avoir entendu dire que plusieurs victimes du sinistre « laissaient voir de l’inclination à venir s’établir en Silésie, » et fait l’habituelle énumération des privilèges qui les attendent. Le mauvais gouvernement de la Pologne, où se perpétue l’anarchie, et de certains petits états, comme le Mecklembourg, où des potentats sans budget se ruinent à imiter la cour de Louis XIV, tout est prétexte à Frédéric pour débaucher les sujets de ses voisins. Ceux-ci se plaignent les uns après les autres. L’électeur de Saxe, un des plus éprouvés, écrit au roi de Prusse que « sa manière d’agir est contraire à toutes les règles du bon voisinage, » et qu’il espère la voir bientôt cesser : cette espérance fut trompée, car les agens reçurent seulement l’ordre d’agir avec une plus grande prudence. Une lettre de Frédéric à son représentant près de la cour de Vienne trace de point en point la ligne de conduite qu’un habile homme, bien pénétré des intentions de son maître, doit tenir en pays étranger pour pratiquer l’embauchage des colons, tout en gardant l’honnêteté des apparences. « Vous aurez soin de mettre en circulation les édits que je vous envoie, mais de la bonne façon et sans que vous ayez l’air de vous y intéresser. Si vous apprenez qu’une ou plusieurs familles ayant quelque avoir montrent du penchant à venir s’établir dans nos états, vous devez les fortifier de votre mieux dans leurs résolutions. Si elles signalent quelques desiderata, faites-m’en tout de suite un rapport bien détaillé. Soyez assuré de mes bonnes grâces spéciales pour vos efforts ; mais mettez dans toute cette affaire de si grands ménagemens qu’on ne puisse jamais vous reprocher d’induire des sujets à quitter leur maître. » Il paraît que ces conseils étaient bien suivis, et que les souverains ne savaient pas mettre la main sur les recruteurs de Frédéric. Ils multiplient les édits contre « le crime de l’émigration, » et l’on en trouve où perce de la fureur contre les