Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/895

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

billets et notes marginales, aucune métaphore biblique : ses états sont, non point une terre promise, mais une terre en cours d’exploitation, et, comme il sait à un denier près le prix de revient d’un colon, pas une fois il ne parle de grâces spéciales octroyées par Dieu à la royale maison de Brandebourg. Certes ses prédécesseurs avaient beaucoup fait pour la colonisation de la monarchie, mais ils lui avaient laissé beaucoup à faire. A son avènement, Frédéric régnait sur un état de 2145 milles carrés, habités par environ 2,500,000 sujets ; or la seule province de Brandebourg, dont la superficie ne mesure que 734 milles carrés, compte aujourd’hui 2,900,000 habitans ! Il restait donc beaucoup de vides à remplir dans les anciennes provinces, et dans les nouvelles, dans la Silésie et la Prusse occidentale, ces conquêtes de Frédéric ; la population était si insuffisante et l’élément slave si considérable qu’il fallait une large infusion de sang germanique. Enfin la guerre de la succession d’Autriche et celle de sept ans, se jetant au travers des efforts de Frédéric, décimèrent ses sujets et le forcèrent à redoubler de peine pour guérir les maux dont il avait été le témoin, en même temps que pour achever l’œuvre commencée par ses ancêtres.

Frédéric voulut que la colonisation devînt une branche spéciale de l’administration prussienne, comme la levée de l’impôt ou de la milice. Les chambres des diverses provinces, sorte de directoires administratifs, durent se rendre compte des besoins de leurs pays respectifs, faire le relevé des maisons inoccupées, des terrains abandonnés, évaluer le nombre de colons qui pouvaient être établis dans leur ressort, et classer avec méthode ces renseignemens dans des tableaux à plusieurs colonnes, dont le roi lui-même avait donné le modèle et qu’il examinait de fort près, car il surveillait à tous momens les chambres provinciales. On trouve mille traces de son intervention personnelle : que de promesses signées de son nom ; mais que de menaces aussi ! Il fallait stimuler le zèle de fonctionnaires déjà surchargés par la besogne d’une administration bureaucratique, et qui se voyaient par surcroît obligés de chercher des colons, de veiller à leur transport, de les établir, et de trouver les ressources nécessaires pour payer la dépense, car, si le roi consentait à les aider, comme il fit souvent, d’une main très généreuse, il voulait qu’à l’ordinaire les frais de la colonisation demeurassent à la charge des provinces qui en devaient profiter. Bien des demandes d’argent sont impitoyablement repoussées par lui. « Je n’ai pas le sou, » écrit-il en marge, ou bien : « Je suis pauvre comme Job, » ou bien encore : « J’ai aujourd’hui mal à l’oreille et je n’entends pas bien ce que vous voulez dire. » Cependant il voulait être servi à point nommé. L’infatigable activité de ce novateur déconcertait des gens habitués à la régularité d’un travail routinier. Comme