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est assis sur une cantine d’officier. Une carte dans la main gauche, il semble désigner de l’autre main étendue les positions que doivent occuper les troupes. Groupés debout autour du général en chef, le prince Napoléon, le duc de Cambridge et le général Canrobert écoutent ses instructions. Bosquet, déjà en selle, va gagner le poste qui lui est assigné. Derrière l’état-major, dont chaque figure, placée dans une attitude naturelle, est un portrait très ressemblant, et qui ne pose pas comme un état-major d’Horace Vernet, passe une colonne d’infanterie. De l’autre côté de la toile, un bataillon de chasseurs est arrêté en attendant l’ordre du départ. Les soldats ne sont point à une revue, aussi prennent-ils les poses familières au troupier lors des pauses des étapes, les uns, assis par terre, allument leur pipe ou rajustent une guêtre délacée ; les autres s’appuient les deux mains sur le bout du canon de leurs lourdes carabines ou donnent ce qu’on appelle le « coup de sac. » Le second plan est occupé par une batterie d’artillerie montée qui s’avance au pas et dont la longue file de cavaliers et de canons se prolonge en perspective jusqu’au rivage. Au fond, la mer couverte de voiles étend ses eaux transparentes sous un ciel bleu, un peu nuageux, d’une grande légèreté. La couleur est agréable par sa clarté, sans avoir pourtant ni l’éclat ni la puissance. La composition est habilement entendue. Chacun a sa place, le général comme le soldat, l’état-major comme l’armée. On a une juste idée de la confusion, des tâtonnemens, des marches et des contre-marches d’un débarquement en pays ennemi. Les généraux ont souci de leur haute mission, de leur grave responsabilité. Les soldats portent sur leur visage la gaîté d’hommes qui voient du nouveau et qui se réjouissent après une longue traversée de fouler ce « sacro-saint plancher des vaches, » si cher à Panurge.

Dans divers tableaux de petite dimension, tels que l’Exercice à feu, les Zouaves à la tranchée, et surtout dans les aquarelles, Pils a montré les mêmes qualités de composition, de pittoresque et de réalisation vivante du troupier. Voyez ces zouaves défilant dans la tranchée au pas de course, le corps courbé en deux, la tête baissée, le fusil tenu horizontalement, à hauteur de la hanche. A leur allure martiale on devine que s’ils se cachent ainsi ce n’est pas pour éviter les balles de l’ennemi ; c’est pour ne pas attirer son attention sur le hardi coup de main qu’ils vont tenter. Dans une lettre que désavouerait peut-être le successeur de Montalembert à l’Académie, mais que reconnaîtrait bien le commandant en chef du 7e corps d’armée, le duc d’Aumale a caractérisé d’une façon toute pittoresque le talent de Pils, peintre de soldats. « Vous m’avez envoyé, écrivait-il, un vrai chef-d’œuvre, trois troupiers en chair et en os,