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toute la journée du 4. Le 5, vers midi, les douleurs revinrent, et enfin, à neuf heures du soir, la princesse mit au monde un beau garçon très bien constitué, — qui était mort avant de voir le jour.

La mère, après l’accouchement, ressentit un grand bien-être. La nouvelle de la mort de son enfant ne l’affecta point d’une façon particulière. Cependant ce calme apparent ne dura que jusqu’à minuit. Laissons parler ici le journal de Stockmar. « Sir Richard Croft s’approcha de mon lit, me prit la main, me dit que la princesse était dangereusement malade, que le prince était seul dans une autre chambre, qu’il fallait aller le trouver et l’informer de l’état des choses. Depuis trois jours, le prince n’avait pas quitté un instant la princesse ; mais aussitôt après l’accouchement il était allé prendre un peu de repos. Je le trouvai résigné au sujet de l’enfant. Quant à la princesse, il ne parut pas s’inquiéter de son état. Un quart d’heure après, Baillie me fit dire qu’il désirait que je visse la princesse. J’hésitai un instant, j’y allai pourtant avec lui. Secouée par de fortes crampes de toux, la respiration oppressée, haletante, elle était en proie à des angoisses qui ne lui laissaient pas de répit. Elle se jetait sans cesse d’un côté et de l’autre, parlant tantôt à Baillie, tantôt à Croft. Baillie lui dit : — Voici un de vos vieux amis ! — Elle me tendit vivement sa main gauche et par deux fois serra la mienne avec force. Je lui tâtai le pouls, qui battait très vite, avec des pulsations tantôt fortes, tantôt faibles, souvent intermittentes. Baillie lui offrait constamment du vin. Elle me dit : — Ils m’ont tant fait boire que je suis ivre[1] ! — Il se passa environ un quart d’heure pendant lequel, allant et venant, je sortais de la chambre et y rentrais ; après ce quart d’heure, sa respiration devint celle de l’agonie. Je venais précisément de sortir de la chambre, quand elle cria vivement : Stocky ! Stocky ! Je rentrai aussitôt, elle était plus calme, elle râlait doucement, d’une manière continue ; elle se mit plusieurs fois sur son séant, puis ses jambes se raidirent, ses mains se glacèrent… Enfin à deux heures du matin, dans la nuit du 5 au 6 novembre 1817, c’est-à-dire cinq heures après l’accouchement, elle avait cessé de vivre. »

Le prince Léopold reposait encore dans sa chambre. Il fallut lui annoncer le funeste événement. Stockmar, qui fut chargé de ce soin, ne lui en parla d’abord qu’à mots couverts. Le prince ne pensait pas que sa femme fût déjà morte ; il se dirigea vers ses appartemens, et, chemin faisant, s’affaissa sur un siège. « Je pliai un genou près de lui, dit Stockmar. Il s’imaginait que c’était un rêve et ne pouvait croire à l’horrible réalité. Il m’envoya encore auprès

  1. « They have made me tipsy. »