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Les figures du premier plan sont théâtrales ; les Français pensent plus à poser qu’à combattre. A la vérité, ils n’ont guère à combattre, car les Russes se défendent bien faiblement, — beaucoup trop faiblement même pour l’effet pictural et pour la vérité historique. M. Yvon a peint encore une Bataille de Solferino, qui se réduit à un défilé de voltigeurs de la garde devant l’empereur. Un tableau d’Adolphe Yvon, moins connu que l’Assaut de Malakof, quoique infiniment plus original, est la Gorge de Malakof, Les zouaves et les turcos occupent l’ouvrage, mais une poignée de Russes en tient encore la gorge. Il y a un effet très juste et très grand dans ces hommes placés face à face presqu’à portée de baïonnettes. A leurs gestes, à leur attitude, à l’expression sombre et résolue de leur visage, on sent qu’aucun d’eux ne faiblira. On ne fera pas de quartier parce qu’on n’en demandera pas. Les coups de feu éclatent dans les rangs ; bientôt l’arme blanche jouera son rôle terrible. Déjà un mur de cadavres et de mourans, la tête fendue ou la poitrine trouée, s’élève à l’entrée de la redoute.

On aurait pu croire qu’après la funeste guerre de 1870 c’en serait fait de la peinture de batailles. Cette peinture ne doit-elle pas naître de la victoire et mourir par la défaite ? Mais loin que ce genre soit près de disparaître, il est plus que jamais en faveur. Dans les dernières années de l’empire, le public était las des tableaux de batailles ; aujourd’hui la foule se presse au Salon devant les œuvres de MM. De Neuville, Dupray, Detaille, Berne-Bellecour, Lewis-Brown. On est heureux de constater ce fait qui parait d’un bon augure. Le vif attrait qu’ont les scènes de guerre pour la génération présente semble indiquer que l’esprit militaire, qui sera sa sauvegarde, gagne peu à peu la France. M. de Neuville et la légion de jeunes peintres militaires qui marchent avec lui n’ont pas, à la vérité, fait de grands tableaux représentant l’ensemble ou l’acte décisif d’une bataille. Ils s’arrêtent au côté épisodique de la dernière guerre : escarmouches, attaques de maisons, défenses de fermes, grand’gardes surprises, combats d’avant-poste, témoins de tant d’actes héroïques. Ils peignent avec un accent de vérité saisissant, une connaissance profonde du caractère de la guerre moderne, un sentiment très juste du soldat au feu. Rien de théâtral, rien de forcé ; pas de phrases, en un mot, dans le tableau, pas plus qu’il n’y a de phrases au combat. Pour le soldat, c’est une fonction que de tuer et de mourir ; il l’accomplit simplement comme on accomplit une fonction. Il faut citer la Retraite d’artillerie sous bois de M. Detaille, la Grand’garde de M. Dupray, le Bastion de M. Berne-Bellecour, enfin et surtout la Dernière Cartouche, le Combat sur une voie ferrée, l’Épisode de Villersexel de M. de