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admirables de formes et de mouvement, mais Michel-Ange n’avait pas là peint le siège de frise dans sa vérité locale. Ces guerriers sortant tout nus de l’eau étaient aussi bien des Grecs surpris par les Troyens au bord du Scamandre, des Carthaginois surpris par des Romains au bord du lac de Trasimène, des croisés surpris par des Sarrazins au bord du Jourdain, que des Florentins surpris par des Pisans au bord de l’Arno. C’était peut-être agrandir le sujet que de le concevoir ainsi, c’était aussi perdue de vue l’idée même de la composition, le but du concours, le siège de Pise par les Florentins, la consécration d’un des fastes de l’histoire de Florence.

Raphaël, qui, dit-on, vint tout exprès de Rome pour voir ces cartons, les admira sans doute ; mais, lorsque plus tard il eut à exécuter les dessins de la Bataille de Constantin contre Maxence, il ne s’en inspira pas. Il revint à la sage ordonnance des traditions antiques. Dans la fresque que Jules Romain a peinte d’après les cartons du maître, l’influence de l’art de l’antiquité est manifeste, les réminiscences des bas-reliefs et des frises des arcs de triomphe et des colonnes sont visibles. On pourrait dire que c’est la même composition que la Bataille d’Arbelles de la mosaïque. Au premier plan, Constantin charge à la tête de ses cavaliers, dont les chevaux foulent aux pieds cadavres et blessés. Quelques fantassins engagent une lutte désespérée avec les gardes de l’empereur, saisissant les chevaux à la bride, tandis qu’ils frappent de l’épée et de la pique. A droite, dans le Tibre, Maxence éperdu tâche de maintenir son cheval emporté par le courant. Autour du vaincu, des cavaliers tentent de gagner la rive opposée du fleuve, tout couvert de cadavres flottans. Dans le fond, au milieu d’une mêlée atroce, un gros de cavaliers s’engage sur le pont du Tibre en sabrant tout sur leur passage. Raphaël donc n’a pas dédaigné, comme l’ont fait Léonard et Michel-Ange, de se limiter dans son sujet. Il a su peindre la bataille dans toute son horreur, battes corps à corps, agonisans foulés aux pieds, mêlée et massacre, mais il a su représenter aussi la victoire de Constantin, la défaite de Maxence.

Cette composition eût pu être un enseignement pour les contemporains et les successeurs de Raphaël. Tous, cependant suivirent les principes appliqués par le Vinci dans le carton de la Bataille d’Anghiari. Pietro della Francesca, Vasari, Marto Fiore, Andréa Vicentino, Dominique Tintoret, Palma le jeune, Bassano, Marco Vecellio et tous les Vénitiens dont l’école a pour caractéristique le dédain absolu de la vérité historique, peignirent beaucoup de combats, d’assauts, de victoires et de déroutes, soit dans des tableaux, soit dans les décorations du palais ducal à Venise et du palais de la Seigneurie à Florence ; mais ni combats, ni assauts, ni victoires,