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composition. Devant le char royal, au milieu d’un amas de blessés, un cheval et son cavalier frappés en même temps d’une flèche ou d’une pierre de fronde roulent l’un sur l’autre. A gauche, Alexandre, superbe de mouvement, sans casque, l’épée à la main, charge à la tête de ses hétaïres d’élite. Son cheval, piqué aux naseaux par la javeline d’un soldat perse, se cabre ; mais on sent que rien n’arrêtera l’élan d’Alexandre et de sa troupe. Les Perses ont beau se défendre, ils ne pourront trouver que la mort et non la victoire. Il faut admirer dans cette œuvre, indépendamment du mouvement des figures, la simplicité et la précision de la composition. On sait tout de suite de quoi il s’agit. On voit l’action, on conçoit les péripéties qui l’ont précédée, on en pressent le dénoûment. Eussent-ils les mêmes costumes, on n’en reconnaîtrait pas moins les Perses des Grecs par les positions qu’ils occupent.

Cette unité de composition, cette netteté et cette précision dans l’interprétation d’un sujet militaire, on les chercherait en vain, hormis chez Raphaël, chez les héritiers des artistes de l’antiquité, chez les grands maîtres de la renaissance. Michel-Ange et Léonard de Vinci, luttant l’un contre l’autre, ont fait les cartons de deux batailles mises au concours par la république de Florence. Ces deux œuvres rivales ont péri, mais pas les descriptions de Vasari, de Cellini, de Léonard lui-même ; il est facile sinon de se les représenter, du moins d’avoir l’idée des principes auxquels les deux maîtres avaient obéi. Léonard avait à peindre la bataille d’Anghiari, Michel-Ange le siège de Pise. Or tous deux avaient conçu la bataille dans son caractère archétypique de lutte, non dans son expression de vérité locale ; ils l’avaient généralisée au lieu de la particulariser ; ils avaient représenté la bataille, ils n’avaient pas représenté une bataille. Léonard avait bien d’abord songé à peindre la bataille d’Anghiari dans tous ses épisodes. Il avait résumé pour lui-même, d’après les récits et les documens écrits, les principales alternatives du combat : le début de l’action, le pont pris et repris par trois fois, l’artillerie placée sur une hauteur à la fin du jour et décidant la victoire en jetant le désordre dans les épais bataillons de Guido d’Astorre et de Faenza. Il avait étudié son sujet, et il le connaissait à fond. Son projet de tableau pourrait être signé Thucydide ou Guicciardini ; mais devant son carton le peintre oublia l’historien, et la bataille se réduisit à une épique mêlée de cavalerie combattant pour se disputer un étendard. Michel-Ange, qui voulait à tout prix que sa science du nu ne fût pas perdue sous les cuirasses et sous les jambards, imagina de représenter les soldats se baignant dans l’Arno, avertis par la trompette de l’approche de l’ennemi, et courant reprendre leurs armes. L’idée était ingénieuse, les figures