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C’est le moment où meurt sa seconde femme, également empoisonnée, à ce qu’il prétend, par ses boïars ; c’est le moment où il fait périr son cousin Vladimir avec tous les siens, c’est le moment où il extermine la noblesse russe par familles entières (vserodno) avec les femmes et les enfans, où, sur le bruit d’un complot pour livrer Novgorod aux Polonais, il part pour cette ville et y exécute, de son propre aveu, 1,505 habitans, où, sur la Place-Rouge du Kremlin, il fait périr de divers supplices 120 condamnés. On a voulu révoquer en doute la sincérité de ses terreurs. Parce que les preuves des complots nous échappent, il ne s’ensuit point qu’ils n’aient pas existé. Ivan nous apparaît en sûreté sur le trône environné de silence et de servilité ; nulle résistance apparente, mais mieux que personne il pouvait saisir les murmures suspects, les chuchottemens de cette foule prosternée, le sourd travail de termites qui minait son trône. De là peut-être ses fureurs soudaines, inexplicables, ses emportemens de taureau sauvage contre un ennemi invisible. En 1571, les boïars chargés de surveiller les gués de l’Oka laissent passer les Tatars. Moscou est brûlée : 190,000 personnes périssent. Ivan, moins effrayé de l’invasion que de l’attitude de ses généraux, s’enfuit à Iaroslavl : de là il eût gagné Arkhangel et les vaisseaux anglais. Dans son testament, qui est de 1572, il déclare à ses enfans que sa famille et lui ne sont pas solides sur le trône de Russie, et, ajoute-t-il, « si, pour la multitude de mes péchés, la colère de Dieu s’étend sur moi, si, proscrit par mes boïars, chassé par leur révolte de mon trône, je suis forcé d’errer par le monde, ne vous découragez pas. » Vers cette époque s’opère dans la physionomie d’Ivan un changement singulier. Ce n’est plus le bel adolescent qu’a connu Chancellor : à quarante ans, c’est un vieillard, usé par les excès, mais bien plus encore par les soucis et les angoisses, la crainte du poison et des sorciers, Sa barbe et ses sourcils sont tombés : il est chauve, pelé comme ces vieux tigres qui, dit-on, ont pris goût à la chair humaine et en contractent une morbide âcreté du sang. Et cependant en 1582, quand il s’entretiendra avec Possevino, que de courtoisie et même de bonhomie, quel esprit d’à-propos, quelles piquantes leçons de tolérance au missionnaire latin !

D’Angleterre Sovine ne lui apporta qu’une réponse peu satisfaisante. Elisabeth consentait bien à faire alliance avec lui, mais elle voulait d’abord être mise au courant de ses démêlés avec ses voisins et employer ses bons offices pour une médiation. Elisabeth lui promettait un asile honorable dans ses états pour lui, pour sa « noble impératrice, » pour les princes a ses chers enfans, » pour tous les siens. Cet engagement était contre-signé du grand-chancelier Nicolas Bacon, des lords Parr, Arundell, Francis Russell,