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d’échanges dont ils devaient envelopper les deux mondes et les cinq océans. A 4 milles de Londres, on fit une halte pour la nuitée ; de nouveaux escadrons de marchands, suivis d’innombrables commis, vinrent rejoindre la chevauchée. Ce fut à la tête d’une armée que ce naufragé fit son entrée dans Londres. Aux portes de la ville, il fut harangué par le lord-maire, entouré de ses conseillers en robes rouges. Les jours suivans, audience du roi et de la reine, service solennel à la cathédrale de Westminster, dîner splendide dans la salle de l’honorable corporation des drapiers. L’envoyé moscovite fit d’ailleurs une bonne impression ; les commissaires chargés de négocier avec lui se louaient de son intelligence et de la noblesse de ses manières. Il repartit pour la Russie avec une lettre de Philippe et Marie qui accordait aux marchands russes en Angleterre toute sorte de privilèges. L’Angleterre n’avait rien à perdre à cette réciprocité.


III

Népéi était accompagné du capitaine Antoine Jenkinson, destiné à jouer un rôle important dans les relations des deux pays. C’était un admirable type de marin anglais, hardi, infatigable, propre à tout, commerçant, administrateur, diplomate à l’occasion. Il avait visité tous les états de l’Occident, toutes les îles et tous les rivages de la Méditerranée, la Grèce et la Syrie, Damas et Jérusalem, Malte et les côtes barbaresques. Un tel homme qui avait tant vu devait plaire à Ivan, qui, dans sa vive et intelligente curiosité, comprenait qu’il avait tout à apprendre. Ce n’était pas seulement la Russie qui s’ouvrait à l’Europe, c’étaient aussi l’Europe et le monde entier qui s’ouvraient à cette casanière Russie. Resserré dans sa petite Moscovie, étouffant entre l’hostilité de la Pologne et la poussée du monde musulman, Ivan s’intéressait à ce qu’il y avait par-delà la Pologne et l’Allemagne, par-delà les états de l’ancien monde, par-delà cet océan qui dans les légendes russes marque le bout de l’univers et sur les rivages duquel s’élèvent les colonnes qui soutiennent le ciel. Ivan le Terrible aimait à écouter ; il s’entourait volontiers de conteurs ambulans et de chanteurs de ballades ; mais quels contes valaient les récits que pouvait lui faire Jenkinson : les merveilles de la civilisation occidentale, les prouesses inouïes des marins d’Europe, l’Afrique tournée par Gama, l’Amérique devinée à travers les espaces par Colomb, la main-mise d’Albuquerque sur les empires de l’Inde ? À ce prisonnier du Kremlin, captif de ses terreurs et de ses préjugés, Jenkinson agrandissait les horizons, révélait le monde. Il lui montrait ces routes lointaines des océans sur