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nous devrions nous retirer de l’arène où nous cherchons à tâtons à serrer toujours de plus près la vérité et la justice, et nous réfugier sur les hauteurs vertigineuses de la vie mystique. Il faut bien en prendre notre parti : le bien et le vrai ne descendent pas du ciel, tout parés, comme un beau saint George qui terrasse Satan sans avoir subi ses étreintes, et dont l’armure resplendissante n’a été ni ternie ni salie dans la lutte. C’est l’excellence du régime parlementaire de suffire, comme tout organisme sain et vigoureux, à la double tâche de réparer chaque jour les dépenses de la vie et d’expulser progressivement les élémens morbides qui provoquent la fièvre et le désordre. S’il est vrai, comme le dit le cardinal de Retz, qu’assembler les hommes, c’est les émouvoir, il est tout aussi juste de soutenir qu’assembler les hommes, c’est les moraliser. Mme de Staël a bien marqué ce caractère de toute réunion d’hommes : « Il est souvent arrivé, dit-elle, de séduire un individu, en lui parlant seul, par des motifs malhonnêtes ; mais l’homme en présence de l’homme ne cède qu’à ce qu’il peut avouer sans rougir. » Cette remarque suffit à la justification du système parlementaire et nous explique comment ces parlemens anglais du XVIIIe siècle, composés par des procédés si impurs, où les députés n’avaient pas plus de honte à accepter des liasses de billets de banque que les ministres à les offrir, ont cependant servi d’une manière efficace la cause de la liberté et du progrès. On put croire un moment que les temps prédits par Montesquieu étaient arrivés et que, le pouvoir législatif étant aussi corrompu que le pouvoir exécutif, le pays était perdu. Il l’eût été, si le parlement avait délibéré à huis-clos sans souci de l’opinion publique ; mais la nécessité de plaider sa cause devant le public, le besoin d’entretenir des relations constantes avec la nation qui écoute et qui juge, l’obligation de former l’opinion, voilà les agens irrésistibles qui finissent par faire sortir le bien du mal, la sagesse de la passion, et qui assurent le triomphe de l’intérêt général sur toutes les intrigues et les compétitions personnelles. Le système parlementaire offre plus de prise à la critique et à la déclamation, parce que tous les jours il soumet le gouvernement à la malignité du public et qu’il ne dissimule aucune de ses plaies ; mais le despotisme, sous ses formes diverses, a-t-il bien raison de triompher parce qu’il cache sous des draperies flottantes toutes les parties gangrenées sur lesquelles il faudrait appliquer le fer et le feu ? Et vouloir supprimer dans le gouvernement d’un pays les agitations et les luttes parlementaires, n’est-ce pas, comme l’a dit Macaulay, « enlever au serpent ses sonnettes et lui laisser son dard ? »


Ernest Fontanès.