Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/826

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souriait pas à Shelburne, qui n’avait pas d’ailleurs grande confiance en ce nouveau ministère, destiné, peut-être avant un an, à tomber sous les clameurs de l’opinion publique. Le pouvoir de ce conseil n’était pas en rapport avec la responsabilité dont il était chargé devant le public ; il formulait des propositions, indiquait certaines mesures à prendre, mais les moyens d’exécution lui faisaient défaut. Rarement ceux qui avaient précédé Shelburne dans ces fonctions avaient eu la satisfaction de faire quelque bien, de voir appliquer leurs idées. Aussi Shelburne posait pour condition à son acceptation qu’il aurait, comme les autres secrétaires d’état, le droit de pénétrer jusqu’au roi ; Bute lui représenta que ce serait semer dans le nouveau ministère et auprès de ses collègues des fermens de jalousie et de discorde, et que dans l’intérêt commun il fallait conserver les choses sur l’ancien pied. Shelburne finit par se rendre à ces considérations et écrivit à Bute qu’il n’y aurait pas dans le cabinet de membre plus ferme, de meilleure humeur et moins disposé à se plaindre.


IV

Les difficultés qu’avait prévues Shelburne ne tardèrent pas à se produire. Les questions coloniales prenaient une importance croissante et soulevaient des problèmes délicats sur le fond des choses comme sur la procédure. Shelburne n’était pas d’accord avec ses collègues. L’Amérique du Nord n’était guère à cette époque qu’une expression géographique, et la partie civilisée était divisée en gouvernemens aussi différens d’étendue que de constitution. C’était une situation qui fait songer aux petits états de l’Italie avant 1860, avec cette différence que tandis que les royaumes et les duchés italiens présentaient toutes les variétés de l’absolutisme, tous les états de l’Amérique étaient un produit sain et vigoureux de la liberté anglaise. Le gouvernement dans ces colonies était réparti, à l’image de la métropole, entre un gouverneur et un conseil, nommés par la couronne, et des assemblées librement élues par les colons. Pour les subsides en temps de guerre, pour leur traitement et pour les autres dépenses régulières, les gouverneurs dépendaient de l’assemblée. Supportant malaisément cette dépendance, ils auraient voulu s’affranchir du contrôle permanent de l’assemblée, qui tous les ans était appelée à voter ces dépenses, et ils demandaient que ce budget fût voté une fois pour toutes, comme la liste civile était fixée à l’entrée de chaque règne par le parlement. Leurs amis et patrons à Londres soutenaient leurs prétentions et y voyaient un prétexte pour réclamer que le parlement de l’empire, passant par-dessus la tête