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troupes d’Allemagne, lors de la discussion de l’adresse dans la chambre des lords (décembre 1761). Le duc de Bedford, quoique collègue de Bute, avait pris la résolution, sans consulter le ministre dirigeant, de proposer un amendement tendant à la paix. Shelburne soutint cet amendement à la chambre des lords et prononça, à cette occasion, son second discours. Il insista sur la nécessité de relever le crédit, de ne pas prodiguer en dépenses de guerre les sommes destinées à éteindre la dette ; il dénonça à la vigilance de la chambre l’état de la flotte, négligée depuis longtemps, et qui cependant était le vrai rempart de la liberté et de la sécurité du pays. Au vote, l’amendement fut rejeté par 105 voix contre 16. Cet insuccès jeta Bute dans un abattement et des alarmes extrêmes. Autour de lui, on répétait que lord Shelburne était fou. Les communes, d’après tout ce qu’avait recueilli Bute, n’étaient pas plus favorables à cette politique de paix, et il chargea Fox de s’aboucher avec le membre qui devait développer un amendement dans le même sens que celui du duc de Bedford, afin d’obtenir qu’il ne le présentât pas ; mais, au moment de faire voter, il y eut dissentiment dans le sein du cabinet. Le duc de Newcastle demandait 2 millions pour continuer la guerre d’Allemagne ; lord Bute proposa 1 million. Auprès de ceux qui blâmaient la guerre, il se prévalait de cette position pour les convaincre de la sincérité de sa politique de paix. Était-ce bien le motif qui avait décidé son opposition au chiffre demandé par le duc de Newcastle ? Shelburne remarque avec finesse que les hommes de cette trempe ont d’ordinaire plus d’un motif pour agir, que la raison qu’ils donnent au public, et qu’ils finissent par soutenir avec conviction, n’est pas la vraie raison, la raison décisive ; celle-là, ils la taisent, la cachent aux autres et ne se l’avouent pas à eux-mêmes. Ici le secret de la tactique de Bute c’est qu’il convoitait depuis longtemps la place de premier lord de la trésorerie ; on en eut bientôt la preuve : quand le duc de Newcastle, blessé de se trouver en minorité dans le cabinet, eut déclaré qu’il ne pouvait pas supporter cet affront et eut donné sa démission, Bute fut tout de suite chargé de le remplacer.

Cependant tout n’était pas gagné : il fallait faire ratifier par le parlement les préliminaires dont les termes étaient arrêtés depuis le mois de novembre, et Bute avait besoin d’une parole éloquente pour défendre ce projet et repousser les assauts furieux auxquels il allait être exposé. Un seul homme pouvait lui offrir toutes les qualités qu’il cherchait, c’était Fox, et Shelburne fut chargé de nouveau de négocier avec lui. Au milieu de ces négociations, le duc de Cumberland ouvrit l’avis qu’il fallait renvoyer lord Bute, en le comblant de faveurs et de témoignages d’estime, et confier à Fox