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L’honneur de Walpole est d’avoir ménagé à son pays une longue période de paix qui fut très favorable au développement de la prospérité générale. La faute la plus grave qu’il commit fut de céder à un mouvement malsain de l’opinion publique et de déclarer la guerre à l’Espagne, tout en étant convaincu de la puérilité des motifs et des conséquences funestes qu’elle devait entraîner. Il eut la main forcée par une véritable scène de tréteaux. Lacordaire a cité, dans une de ses plus belles conférences, comme exemple de la puissance de la parole, ce trait d’un matelot anglais entrant au parlement et entraînant le vote de la chambre par ce simple discours : « Quand les Espagnols m’eurent ainsi mutilé, ils voulurent me faire peur de la mort ; mais j’acceptai la mort comme j’avais accepté l’outrage en recommandant mon âme à Dieu et ma vengeance à ma patrie. » M. Reynald, dans son excellente Histoire d’Angleterre, a détruit en partie cette légende dramatique ; il prétend que le matelot n’était pas une victime de la cruauté des Espagnols, que c’était un mauvais drôle qui avait eu les oreilles coupées par ordre des magistrats anglais ; mais voici bien une autre histoire : lord Shelburne assure que l’alderman Breckford lui a raconté que, dans sa jeunesse, il fut chargé d’amener à la barre de la chambre des communes le fameux matelot Jenkins, et que, si quelqu’un avait eu la fantaisie de lui ôter sa perruque, il aurait constaté que le drôle avait bel et bien ses deux oreilles. Depuis lors la mise en scène a été bien simplifiée, et, pour lancer un peuple dans les aventures, il suffit, comme on sait, d’une dépêche qu’on ne montre pas.

Au-dessus de Walpole, le plus grand parmi ceux qui ont assuré à l’Angleterre au XVIIIe siècle la supériorité des mers et la première place dans le concert européen fut, tout le monde le nomme, le premier Pitt, dont la gloire est consacrée sous le titre de lord Chatham. Les forts et les puissans n’exercent pas seulement sur l’imagination un attrait irrésistible ; ils sont aussi pour la pensée un problème toujours nouveau, dans lequel le regard curieux ne se lasse jamais de plonger. Écoutons ce qu’un homme de la génération qui l’a suivi, qui l’a rencontré et observé dans les conseils du pays, peut avoir à nous révéler.


« William Pitt n’était pas d’une extraction très relevée. Celui qui paraît être le chef, le fondateur de la famille, est un certain gouverneur Pitt, connu sous le nom de Pitt diamant, parce qu’il se trouvait détenteur d’un énorme diamant. Ce n’est pas de la médisance de rappeler que la folie était héréditaire dans la famille : une sœur était enfermée dans une maison d’aliénés, une autre s’était jetée dans une vie de dissipation et de désordre, et sa conduite était si scandaleuse qu’elle