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laissèrent volontiers de vrais Anglais s’asseoir au timon et tenir la barre.

Lord Shelburne ne rapporte pas au génie de Guillaume III la fondation et le succès de la monarchie constitutionnelle en Angleterre. Il ne partage pas l’admiration de ses compatriotes pour ce souverain et ne souscrirait pas au portrait que Macaulay en a tracé. Il nous le dépeint comme un Hollandais fier et sagace, dont la passion maîtresse était de faire la guerre, et la guerre contre la France. Rien de plus absurde et de plus faux que de le célébrer pour son amour de la liberté. Il l’avait vue de trop près en Hollande, et il ne s’était occupé que de la miner sourdement dans l’intérêt de son ambition. D’une main habile, il avait semé dans son pays tous ces germes de confusion et de corruption qui éclatèrent après lui, et amenèrent la ruine du gouvernement républicain. Quand le parlement décréta le renvoi de sa garde hollandaise, il déclara qu’il ne l’eût pas souffert, s’il avait eu des enfans ou une postérité. On ne peut pas citer un seul acte de réglementation secondaire qui remonte à lui et qui n’ait pas eu pour visée de servir son ambition. L’histoire de ses favoris est scandaleuse ; aucun d’eux n’a été pour l’Angleterre un ornement ou une force, et il les a comblés de dotations fastueuses vraiment insolentes et qui n’étaient pas justifiées par des services éminens. S’il avait distribué aux protestans français réfugiés après la révocation les confiscations faites en Irlande, au lieu de les partager entre ses favoris, il aurait assuré pour toujours la tranquillité de l’Irlande, et accru considérablement la richesse et l’industrie des deux royaumes. Il arriva en Angleterre, comme il l’aurait fait pour une campagne, dans le dessein de servir ses projets politiques avant tout et ensuite dans l’intérêt de ses compagnons pour les enrichir de gros bénéfices. — La sévérité de ce portrait nous laisse pressentir que l’auteur sera plus indulgent pour l’adversaire de Guillaume III. En effet, Louis XIV est apprécié par lord Shelburne avec une sympathie qui étonne chez un Anglais. Louis XIV, dit-il, « était un roi dans toute l’acception du mot. Comme peu de rois, il s’était identifié avec la nation et ne faisait qu’un avec elle. Sa correspondance avec Colbert et ses autres ministres témoigne d’une grande intelligence des affaires et de l’administration, et d’un art achevé pour conserver à l’autorité royale son prestige et ses prérogatives. Il avait de grandes qualités, sinon de grands talens, et, s’il a montré une âme trop portée aux pratiques de la dévotion, il faut bien pardonner quelque chose à ce vieillard chargé d’ans et de gloire, qui voyait descendre à l’horizon l’astre brillant de sa fortune. Ce fut du reste la faute de la monarchie plus que de l’homme. » Nous ne