Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/812

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de contre-poids qui distingue la constitution anglaise. L’explication est plus simple et plus dramatique. La dynastie nouvelle ne pouvait pas oublier qu’il existait quelque part un prétendant dont les droits à la couronne étaient consacrés par les principes monarchiques et soutenus par les sympathies constantes d’un parti puissant. Ce souvenir suffisait pour tenir en bride l’esprit royal et empêcher le retour du despotisme. Pour faire échec aux revendications des Stuarts, pour avoir un point d’appui dans la nation et ne pas rester isolé, le nouveau roi dut se jeter dans les bras des vieux whigs et répudier toutes les prétentions et les allures des vieilles royautés, en un mot répéter au peuple : « Nous sommes vos esclaves et vos nègres. » D’autre part le prétendant n’était pas un danger assez redoutable pour mettre tout en question et troubler cette paix relative qui, pour un grand pays, est la condition du travail et de la prospérité. Il était incapable de comprendre son temps et de s’accommoder aux transformations qui s’étaient accomplies dans les mœurs et dans les idées du peuple. Romanesque et ignorant, il vivait de cette vie de chimères et d’imagination qui pouvait convenir à un chevalier errant, mais qui le rendait étranger au milieu d’une nation active, énergique, dont la culture et les progrès avaient été merveilleusement servis par l’invention de l’imprimerie.

Lord Shelburne avait un sentiment très net des conditions de la monarchie constitutionnelle, et il recommandait chez le souverain une qualité qui rarement a été estimée à son prix, qu’il appelle l’indolence et qui pourrait être mieux comprise, si nous l’appelions le tempérament flegmatique. Funeste quand elle est le fruit de la faiblesse ou du vice, l’indolence préserve les rois de cette ingérence directe, impérieuse dans les affaires du pays, qui blesse un peuple fier et actif. Il n’est pas donné à tous les hommes d’être assis sur un trône et de savoir ne pas jeter à tout moment leur sceptre et leur épée dans la balance où se décident les destins du pays. Pour cette réserve, pour cette modération, qui ne sont pas l’abdication, il faut un grand esprit et aussi un grand cœur, ajoute lord Shelburne. Il faut sentir que la fonction qu’on remplit n’est pas stérile, inutile au pays, et qu’elle n’a rien de semblable à cette position du grand-électeur de Siéyès, condamné à ne pouvoir faire autre chose que s’engraisser. Il y aurait peut-être de la flatterie à décerner aux George cette vertu si utile aux monarques constitutionnels ; l’honneur en revient aux circonstances plus encore qu’à leur sagesse. Étrangers à la langue et aux mœurs de l’Angleterre, ils se contentèrent de jouir du côté théâtral et positif de la royauté, et, comme leur cœur était ailleurs, ils ne se passionnèrent pas pour la politique d’un pays qui n’était pas le leur, et ils