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Ainsi parlait la princesse Charlotte avec son impétuosité habituelle. Quelques-uns de ses amis politiques, gens fort impétueux aussi, contribuaient à augmenter son impatience en lui exprimant la crainte que le prince Léopold ne montrât trop de soumission au régent. C’étaient les whigs du parlement, on le devine, qui manifestaient ces inquiétudes. Les whigs avaient tort, le vrai politique en tout ceci fut le prince Léopold. Quelle eût été sa situation en Angleterre, s’il avait dû emporter son mariage de haute lutte ? Le prince tenait à observer scrupuleusement toutes les convenances, afin de mieux se concilier toutes les sympathies ; il y tenait d’une façon plus particulière encore, si on ose le dire, en songeant à l’éducation de la princesse Charlotte. La princesse, il le sentait bien, avait besoin plus qu’une autre d’assurer sa bonne renommée. Après une éducation si singulière, au milieu d’un entourage si incorrect, il fallait avoir soin de ne pas prêter aux propos malveillans. Le prince Léopold, soucieux déjà de ses devoirs de prince-consort, veillait d’avance sur la dignité de la reine d’Angleterre. Sa réserve fut appréciée. Absent de Londres, il y resta présent par le souvenir qu’il avait laissé à la cour. Ses amis, le duc et la duchesse d’York, ainsi que le duc de Kent, ne négligeaient pas de plaider sa cause auprès du régent. Le départ de la princesse de Galles aplanissait d’ailleurs bien des choses ; on sait qu’elle avait quitté l’Angleterre en juin 1814. Enfin au mois de janvier 1816 le prince Léopold de Saxe-Cobourg reçut l’invitation de venir à Londres, et le mariage eut lieu le 2 mai suivant. Les deux jeunes époux furent reçus pendant huit jours au château d’Oatlands chez le duc et la duchesse d’York, puis ils revinrent passer la saison dans Londres à Camelford-house. Ils s’établirent ensuite à 16 milles de la cité dans leur belle habitation de Claremont-Esher.

C’est là qu’était réunie la petite cour du prince Léopold et de la princesse Charlotte. La princesse, nous l’avons vu, s’était plainte amèrement, dans ses débats avec son père, d’avoir été tenue en dehors de la société anglaise, de n’avoir pu s’initier à la connaissance des personnes et des intérêts publics ; cette éducation nouvelle qu’elle désirait si vivement lui fut donnée à Claremont-Esher par le plus sûr et le plus aimable des guides. Si le rôle ultérieur du prince Léopold, comme candidat au trône de Grèce et fondateur de la royauté constitutionnelle de Belgique, n’avait mis en toute lumière son rare esprit de sagesse, on serait tenté d’attribuer aux enthousiasmes de l’amitié les éloges que Stockmar exprime ou recueille de tous côtés en l’honneur de son maître. C’est l’homme le mieux doué qu’on puisse voir, intelligence ouverte, caractère sûr, cœur loyal, esprit charmant. Il a la courtoisie constante sans nulle