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II

De tous les peintres hollandais, Ruysdael est celui qui ressemble le plus noblement à son pays. Il en a l’ampleur, la tristesse, la placidité un peu morne, le charme monotone et tranquille. Avec des lignes fuyantes, une palette sévère, en deux grands traits expressément physionomiques, — des horizons gris qui n’ont pas de limites, des ciels gris dont l’infini se mesure, — il nous aura laissé de la Hollande un portrait, je ne dirai pas familier, mais intime, attachant, admirablement fidèle et qui ne vieillit pas. A d’autres titres encore, Ruysdael est, je crois bien, la plus haute figure de l’école après Rembrandt, et ce n’est pas une mince gloire pour un peintre qui n’a fait que des paysages soi-disant inanimés, et pas un être vivant, du moins sans l’aide de quelqu’un.

Considérez qu’à le prendre par le détail, Ruysdael serait peut-être inférieur à beaucoup de ses compatriotes. D’abord il n’est pas adroit à un moment et dans un genre où l’adresse était la monnaie courante du talent, et peut-être est-ce à ce défaut de dextérité qu’il doit l’assiette et le poids ordinaire de sa pensée. Il n’est pas non plus précisément habile. Il peint bien et n’affecte aucune originalité de métier. Ce qu’il veut dire, il le dit nettement, avec justesse, mais comme avec lenteur, sans sous-entendus, vivacité ni malices. Son dessin n’a pas toujours le caractère incisif, aigu, l’accent bizarre, propres à certains tableaux d’Hobbema. Je n’oublierai pas qu’au Louvre, devant le Moulin à eau, la vanne d’Hobbema, une œuvre supérieure qui n’a pas, je vous l’ai dit, son égale en Hollande, il m’est arrivé quelquefois de m’attiédir pour Ruysdael. Ce Moulin est une œuvre si charmante, il est si précis, si ferme dans sa construction, si voulu d’un bout à l’autre dans son métier, d’une coloration si forte et si belle, le ciel est d’une qualité si rare, tout y paraît si finement gravé, avant d’être peint, et si bien peint par dessus cette âpre gravure ; enfin, pour me servir d’une expression qui sera comprise dans les ateliers, il s’encadre d’une façon si piquante et fait si bien dans l’or, que quelquefois, apercevant à deux pas de là le petit Buisson de Ruysdael et le trouvant jaunâtre, cotonneux, un peu rond de pratique, j’ai failli conclure en faveur d’Hobbema et commettre une erreur qui n’eût pas duré, mais qui serait impardonnable, n’eût-elle été que d’un instant.

Ruysdael n’a jamais su mettre une figure dans ses tableaux, et, sous ce rapport, les aptitudes d’Adrian van de Velde seraient bien autrement diverses, pas un animal non plus, et, sous ce rapport, Paul Potter aurait sur lui de grands avantages, dès qu’il arrive à Paul Potter d’être parfait. Il n’a pas la blonde atmosphère de Cuyp,