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fond d’incurables malaises. Voulez-vous avoir une idée des investigations de ceux qui cherchent et des vérités que nous mettons au jour après de longs efforts ? Je n’en donnerai qu’un exemple, et le voici.

Notre art pittoresque, genre historique, genre, paysage, nature morte et autres, s’est compliqué depuis quelque temps d’une question fort à la mode et qui mérite en effet de nous occuper, car il s’agit de rendre à la peinture un de ses moyens d’expression les plus délicats et les plus nécessaires. Je veux parler de ce qu’on est convenu d’appeler les valeurs. On entend par ce mot d’origine assez vague, de sens obscur, la quantité de clair ou de sombre qui se trouve contenue dans un ton. Exprimée par le dessin et par la gravure, la nuance est facile à saisir : tel noir aura, par rapport au papier qui représente l’unité de clair, plus de valeur que tel gris. Exprimée par la couleur, c’est une abstraction non moins positive, mais moins aisée à définir. Grâce à une série d’observations d’ailleurs peu profondes et par une opération analytique qui serait familière à des chimistes, on dégage d’une couleur donnée cet élément de clair ou d’obscur qui se combine avec son principe colorant, et scientifiquement on arrive à considérer un ton sous le double aspect de la couleur et de la valeur, de sorte qu’il y a dans un violet par exemple non-seulement à estimer la quantité de rouge et de bleu qui peut en multiplier les nuances à l’infini, mais à tenir compte aussi de la quantité de clarté ou de force qui le rapproche soit de l’unité claire, soit de l’unité sombre. L’intérêt de cet examen est celui-ci : une couleur n’existe pas en soi, puisqu’elle est, comme on le sait, modifiée par l’influence d’une couleur voisine. A plus forte raison, n’a-t-elle en soi ni vertu ni beauté. Sa qualité lui vient de son entourage, ce qu’on appelle aussi ses complémentaires. On peut ainsi, par des contrastes et des rapprochemens favorables, lui donner des acceptions très diverses. Bien colorer, je le dirai plus expressément ailleurs, c’est ou connaître ou bien sentir d’instinct la nécessité de ces rapprochemens ; mais bien colorer, c’est en outre et surtout savoir habilement rapprocher les valeurs des tons. Si vous ôtiez d’un Véronèse, d’un Titien, d’un Rubens, ce juste rapport des valeurs dans leur coloris, vous n’auriez plus qu’un coloriage discordant, sans force, sans délicatesse et sans rareté. A mesure que le principe colorant diminue dans un ton, l’élément valeur y prédomine. S’il arrive, comme dans les demi-teintes où toute couleur pâlit, comme dans les tableaux de clair-obscur outré où toute nuance s’évanouit, comme dans Rembrandt par exemple, où quelquefois tout est monochrome, s’il arrive, dis-je, que l’élément coloris disparaisse presque absolument, il reste sur la palette un principe neutre, subtil et cependant réel, la valeur pour