Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/768

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

transforment en espèces ; mais ce long chapitre mériterait une étude spéciale. Je me contenterai d’énumérer les causes principales de la transformation : d’abord l’influence du milieu, c’est-à-dire les changemens de climat et de conditions d’existence agissant pendant la longue série des périodes géologiques. L’être, s’adaptant peu à peu au nouveau milieu dans lequel il se trouve placé, se modifie, se métamorphose et devient une nouvelle espèce. Une autre cause est l’hybridité, c’est-à-dire les fécondations croisées donnant lieu à un hybride, un métis qui se propage à son tour. Dans le règne animal, nous connaissons les léporides métis du lièvre et du lapin, dans le règne végétal l’Aegilops triticoïdes, hybride spontané du blé et de l’Aegilops ovata, très commun dans le midi de la France. Une troisième cause est la sélection naturelle, c’est-à-dire la survivance dans la lutte pour l’existence des espèces les mieux douées. Lutte des végétaux entre eux, des animaux entre eux, des végétaux avec les animaux : lutte incessante, éternelle, d’où résulte l’harmonie que nous admirons dans la création. Cette lutte produit un état stable, mais temporaire, qui nous paraît immuable et définitif, parce que nous passons vite sur la terre et que nous observons la nature depuis hier. Notre expérience personnelle est presque nulle, et celle de nos ancêtres civilisés insuffisante. Nous soupçonnons à peine les changemens qui se sont opérés avant nous : ceux qui s’opèrent sous nos yeux nous échappent par la petitesse des effets, que le temps seul rend appréciables. Cette lutte des êtres organisés entre eux est comparable à celle de forces physiques égales et contraires qui s’annulent réciproquement, et au lieu d’un mouvement produisent le repos. L’homme lui-même, quand il a voulu concilier les antagonismes sociaux, n’a-t-il pas, au lieu de la force qui comprime, essayé d’opposer ces antagonismes l’un à l’autre et de les neutraliser ainsi ? n’a-t-il pas inventé l’équilibre des pouvoirs ? En cela, il ne faisait qu’imiter la nature, et les fondateurs du gouvernement parlementaire en Angleterre appliquaient les doctrines de leur illustre compatriote Charles Darwin avant même qu’il fût né.


III. — preuves tirées de l’embryologie. — accord du principe de l’évolution avec la méthode naturelle.


Pour démontrer l’affinité des êtres organisés, nous les avons considérés jusqu’ici dans leur état adulte, c’est-à-dire l’animal arrivé au terme de sa croissance, la plante munie de ses fleurs et de ses fruits. Nous avons trouvé des analogies nombreuses et variées entre ces êtres achevés ; mais elles le sont encore plus si nous les considérons dans leur première période de développement, dans leur état