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espèces de roses, M. Fries en décrit huit. Il en a été de même dans les autres pays de l’Europe. En 1815, dans sa Flore française, De Candolle décrit neuf espèces de ronces (Rubus), et en 1848 MM. Grenier et Godron en comptent 24 dans leur Flore de France. En 1869, M. Gaston Genevier en distingue 203 dans la seule vallée de la Loire. Tous les genres ne se sont pas accrus dans cette proportion, mais tous ont vu le nombre de leurs espèces augmenter rarement par la découverte d’une forme entièrement nouvelle et inconnue, mais le plus souvent parce qu’on a séparé, distingué et nommé des formes connues que l’on réunissait autrefois sous le même nom spécifique. Quelques botanistes doués au plus haut degré de l’esprit analytique, frappés par les différences, peu sensibles aux analogies, poussent la multiplication à ses dernières limites, et comme on ne trouve pas deux pieds d’une même plante qui se ressemblent complètement, il en résulte que l’idée d’espèce se confond avec celle d’individu. En effet, un observateur attentif, parcourant habituellement une allée de marronniers ou de tilleuls, trouvera en examinant ces arbres dans les quatre saisons de l’année que chacun d’eux présente quelque particularité qui manque à son voisin. Plusieurs botanistes, ayant sous les yeux de nombreux échantillons d’une même plante recueillies dans une même localité, sont incapables de se convaincre réciproquement : l’un voudra comprendre tous ces individus sous un même nom, c’est-à-dire en faire une seule espèce ; l’autre, tenant compte des différences qu’ils présentent toujours, en voudra faire deux, un autre en distinguera trois ou quatre, désignées chacune par un adjectif particulier. L’espèce n’existant pas, c’est-à-dire les plantes et les animaux passant des uns aux autres par des nuances insensibles, le conflit est sans solution et l’accord impossible. La notion de l’espèce est donc une notion purement subjective ; ainsi que Lamarck l’avait très bien compris, elle n’a d’existence que dans l’esprit du naturaliste qui la crée. Cependant comme il faut nommer les plantes et les animaux pour les distinguer entre eux, on continuera à faire des espèces, pour me servir du terme consacré, mais on ne se querellera plus. Les uns, doués de l’esprit synthétique, s’efforceront de ne distinguer que des êtres qui ont des formes très différentes ; les autres, les esprits analytiques, résisteront à cette tendance, et ne confondront pas des plantes ou des animaux qui sont semblables sans être identiques. C’est un juste équilibre entre ces facultés de l’esprit, l’analyse et la synthèse, qui fait les grands classificateurs : Linné, de Jussieu, Lamarck, les deux De Candolle, Cuvier, Robert Brown, De Blainville, Lindley, Joseph Hooker, Bentham et leurs imitateurs.

Ce serait ici le lieu de parler des causes multiples qui modifient les plantes et les animaux dans leurs caractères extérieurs et les