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A-t-on prévu toutes les éventualités ? Si l’on se borne à présenter un plan de réformes, c’est un programme de plus qui risque fort d’être stérile ; si l’on veut en surveiller, en assurer l’exécution, l’intervention diplomatique peut conduire plus loin qu’on ne le croit et raviver les complications européennes qu’on s’efforce de conjurer aujourd’hui. Ce n’est point une solution, c’est une phase nouvelle de la question d’Orient, où l’Autriche se trouve engagée au premier rang, faisant de sa diplomatie la mandataire de l’Europe à Constantinople. L’Autriche réussira-t-elle ? Elle est certainement une des puissances les plus intéressées dans les affaires orientales, et l’intérêt traditionnel qu’elle défend n’a point diminué depuis les révolutions qui l’ont transformée, qui ont créé l’empiré austro-hongrois avec son laborieux dualisme.

C’est cet empire tout entier qui fait aujourd’hui une perte des plus graves par la mort d’un des hommes qui ont le plus contribué à réconcilier la Hongrie et l’Autriche, François Deàk. Jusqu’au bout, il a été un des plus purs patriotes de la Hongrie sans être un ennemi pour l’Autriche. Il était né en 1803, et depuis sa jeunesse il a été mêlé aux affaires de son pays comme un conseiller supérieur dont l’autorité n’a fait que grandir à travers les événemens. Deàk a été de notre temps en Hongrie un de ces hommes qui sont moins des chefs de partis que les chefs d’une nation, qui savent allier la résolution la plus énergique à la modération la plus tranquille, qui ennoblissent la cause qu’ils servent en restant toujours des modèles de simplicité et d’honneur. Sa force était sans doute dans la supériorité de son intelligence politique, mais aussi et avant tout dans l’intégrité de son caractère, dans un respect absolu de la vérité et du droit, dans le courage qu’il savait montrer même à l’égard de ses amis. Il lui est arrivé un jour de refuser une élection à la diète parce que ses amis avaient employé la captation et la violence. C’est le secret de l’ascendant croissant de cet homme qui a toujours été plus ardent que tout autre pour l’autonomie nationale de son pays, mais qui n’a jamais poursuivi l’émancipation de la Hongrie que par les moyens légaux et réguliers, qui a résumé lui-même son caractère et son rôle dans un mot : « Je suis un réformateur, je ne suis pas un révolutionnaire ! » Un moment, il avait été ministre en 1848 avec le comte Bathianyi. Les événemens, dépassant ses idées toujours libérales et nationales, mais modérées et pratiques, l’avaient rejeté dans une retraite d’où il ne sortait à la fin de 1866 que pour reprendre l’œuvre interrompue de l’affranchissement national de la Hongrie sans rupture avec l’Autriche. C’est par lui surtout qu’était négociée la transaction d’où est sorti l’empire austro-hongrois, et il a consacré ses dernières années à consolider le succès de son œuvre, toujours écouté et respecté par ses adversaires comme par ses amis, populaire dans le sens le plus honorable et le plus élevé de ce mot. Peut-être aurait-il pu jouer une dernière fois son rôle de médiateur dans ces luttes nouvelles