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échange de lettres entre le prince d’Orange et la princesse Charlotte, nouvelles conditions posées par la princesse. Elle ne refuse pas de faire plus tard un voyage en Hollande, mais en ce moment, après le mariage, avant qu’elle ait eu le temps de connaître la société anglaise, non, cela est impossible, jamais elle n’y consentira.

Il faut pourtant que cet imbroglio ait un terme. Ni le régent, ni le duc d’York, ni le prince d’Orange, n’ont pu mener à bien les négociations ; la politique va s’en mêler. Le premier ministre est chargé par le régent de porter un ultimatum à la princesse. Ce premier ministre, c’était lord Liverpool, qui avait remplacé au mois de mai 1812 l’administration de M. Perceval. On sait comment M. Perceval, premier ministre de George III en 1809, conservé en 1810 par le prince de Galles devenu régent, fut tué d’un coup de pistolet par un certain Bellingham, le 11 mai 1812, dans un couloir de la chambre des communes. Aucun tory n’avait suivi une politique aussi égoïste, aucun roué des luttes parlementaires n’avait employé de manœuvres plus éhontées. C’est à lui que lord Wellesley, son collègue pendant quelques années, fit porter un jour ce message par lord Eldon : « votre conduite à mon égard a été grossière, irrespectueuse, pleine de mensonges ; mais, une fois hors du pouvoir, je n’en garderai aucun ressentiment, si vous me délivrez de la honte de servir sous un homme tel que vous. » Il est probable pourtant que M. Perceval eût conservé longtemps encore la faveur du régent, s’il n’était pas tombé sous la balle d’un assassin. C’était un personnage aussi habile que hardi. En 1806, il avait été un des défenseurs de la princesse de Galles, non par sympathie pour la princesse, mais pour faire sa cour au roi George III en combattant un fils qu’il ne pouvait aimer ; ce qui ne l’empêcha point de regagner les bonnes grâces du prince de Galles quand le prince devint régent, et d’être maintenu par lui à la tête du pouvoir. Lorsqu’il fut tué, le régent adressa un message aux communes pour recommander sa famille à la générosité de la chambre. L’horreur du meurtre commis sur un premier ministre fit succéder aux haines les plus vives une sympathie générale ; la chambre vota une somme de 1,250,000 francs pour ses enfans, sans compter une pension annuelle de 50,000 francs pour sa veuve et une autre de 25,000 francs pour son fils aîné. Elle décida aussi qu’un monument serait élevé à sa mémoire dans l’abbaye de Westminster[1]. C’est à la suite de

  1. J’emprunte ces détails aux intéressantes études parlementaires de sir George Cornewall Lewis, chancelier de l’échiquier sous le ministère Palmerston, Essays on the administrations of the Great Britain from 1785 to 1830, by sir George Cornewall Lewis, Londres, 1 vol., 1864. — Notre illustre et regretté collaborateur, M. Charles de Rémusat, en a rendu compte ici même (15 novembre 1805). L’ouvrage de sir George Cornewall Lewis a été traduit par M. Mervoyer sous ce titre : Histoire gouvernementale de l’Angleterre depuis 1770 jusqu’à 1850, Paris, 1 vol., 1867. Malheureusement cette traduction est déparée par de nombreuses erreurs d’impression qui brouillent les dates les plus importantes. On ne peut la lire qu’avec beaucoup de précautions.