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volonté très arrêtée de ne point quitter l’Angleterre. Mon attachement à ma patrie est d’autant mieux justifié que je suis plus rapprochée du trône. Je proteste contre toute idée d’alliance factieuse. »

Ce sont là des choses très intimes, nous en parlons sur pièces authentiques. Toute cette correspondance de la princesse Charlotte avec son père le prince-régent et son oncle le duc d’York se trouve aujourd’hui entre les mains de la reine Victoria, avec des explications et des notes soit de la princesse elle-même, soit de miss Knight. Stockmar a eu communication de ces précieuses pages ; il les a lues, analysées, annotées à son tour, et c’est d’après ce commentaire qu’il nous est permis de suivre les péripéties de la négociation.

Étonné des exigences croissantes de la princesse, le duc d’York lui écrit (24 avril) que, si elle était résolue à ne point quitter l’Angleterre, elle aurait dû le déclarer dès le premier jour et ne pas laisser les choses s’engager si avant. Une telle prétention d’ailleurs, il faut qu’elle le sache, aurait les conséquences les plus graves. Il lui serait impossible, à ces conditions, d’épouser un mari dont le rang fût égal au sien. En outre ne se fait-elle pas des illusions sur ses droits à la couronne ? Elle a des droits éventuels, non pas des droits assurés. Il y a une grande différence entre l’héritier présomptif et l’héritier certain. Les droits de l’héritier présomptif sont soumis à des circonstances que peut toujours modifier l’avenir ; les droits de l’héritier certain sont irrévocablement acquis. Or la princesse Charlotte n’est qu’une héritière présomptive ; si un fils naissait au prince-régent, le titre qu’elle invoque s’évanouirait : celle qui est aujourd’hui l’héritière présomptive du trône ne serait plus que la première princesse du sang royal, la sœur du souverain futur. Au surplus, ajoute le duc d’York, on n’a jamais eu l’intention de l’éloigner pour longtemps du sol de sa patrie ; si l’on avait pu concevoir une telle idée, lui aurait-on assuré par contrat un douaire si élevé sur le trésor public ? La princesse répond dès le lendemain que les sentimens de son cœur comme la conscience de ses devoirs lui ordonnent d’établir ses premières relations personnelles, de régler ses premières conditions d’existence dans le pays à la tête duquel sa destinée peut l’appeler un jour ; c’est dans ce pays qu’elle doit acquérir la connaissance des hommes et des choses, connaissance nécessaire dont une vie d’isolement l’a frustrée. D’après la loi, elle n’est qu’héritière présomptive du trône, mais dans les circonstances dont il s’agit, héritière présomptive ou héritière certaine, c’est tout un ; la différence dont on parle n’est qu’un mot. Elle n’avait pas prévu que cette condition pût amener la rupture de l’alliance projetée ; elle est décidée néanmoins à la maintenir, dût-elle se rendre par là tout autre mariage impossible.