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plus naturel de prendre les choses telles que la situation les présentait, et les diplomates chargés de la rédaction du contrat ne sauraient échapper au reproche d’imprévoyance. L’ambassadeur des Pays-Bas, M. le comte Van der Duyn, avait bien imaginé un moyen de couper court à toutes les difficultés ; il était d’avis que le prince d’Orange abandonnât ses droits au trône des Pays-Bas, qu’il y renonçât en faveur de son frère et se fît naturaliser Anglais afin de se préparer sans arrière-pensée au rôle de prince-époux dans son pays d’adoption. Soit que cette combinaison n’ait pas souri au prince d’Orange, soit que les chefs des deux familles royales aient jugé inutile de prévoir les choses de si loin, l’avis du comte Van der Duyn fut écarté. On passa outre à la rédaction des articles sans se soucier des embarras possibles. C’était à l’avenir de s’en tirer à sa manière, quand surgiraient les cas litigieux. Même en des affaires bien autrement graves, la diplomatie, on le sait, n’obéit que trop souvent à cette formule : alors comme alors !

Malheureusement on ne s’avise jamais de tout ; on avait oublié de consulter la principale personne intéressée. La princesse Charlotte, dans son inexpérience, n’avait pas mis en doute un seul instant qu’elle dût rester en Angleterre. Ce qui était une question pour des hommes politiques n’en était pas une pour la fille du prince de Galles. On peut deviner son émotion le jour où elle apprit subitement de la bouche même du prince d’Orange que des arrangemens singuliers étaient pris sans son aveu, d’une façon clandestine et comme dans une sorte de complot. Les Souvenirs de miss Cornelia Knight nous font assister à toute la scène. Le prince d’Orange, dans une de ses visites à la princesse, lui annonça que tous les ans ils passeraient ensemble deux ou trois mois en Hollande. « Le régent et ses ministres, ajoutait-il, m’ont conseillé de ne vous en rien dire ; quant à moi, je vous le dis, car je désire que nous agissions toujours l’un envers l’autre franchement et loyalement. » Là-dessus, raconte miss Knight, la princesse fut prise d’une attaque de nerfs, elle gémissait, criait, sanglotait. La crise passée, elle parut se résigner et promit au prince de ne pas faire obstacle à ses désirs. Cependant l’aiguillon de la défiance lui était resté au cœur. Que signifiaient ces procédés mystérieux ? Pourquoi disposait-on en cachette de ses convenances et de sa liberté ? Les soupçons une fois éveillés dans cet esprit si vif y grandirent de jour en jour. Il y avait autour d’elle des influences qui ne devaient pas rester inactives. Le prince d’Orange, tout dévoué au régent d’Angleterre, avait paru ignorer complètement l’existence de la princesse de Galles. Non-seulement il s’était abstenu de lui demander la main de sa fille, mais il ne lui avait pas même fait une visite. C’étaient de nouveaux outrages ajoutés à tant d’autres ; on devine quelle dut