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V. — les népenthès et les sarracéniées.


Les plantes que les botanistes appellent népenthes n’ont rien de commun avec le népenthès d’Homère, ce produit magique de l’Égypte qui chassait la mélancolie et les chagrins. Ce sont des herbes grimpantes, à tige ligneuse, répandues dans les régions chaudes de l’Inde, de l’Australie et des Seychelles. Les feuilles présentent la composition la plus étrange : elles se terminent par des urnes élégantes qui sont à la fois des pièges creux, des réservoirs d’eau et probablement des appareils de digestion. Chez quelques espèces, les urnes sont de deux sortes : celles d’en bas, plus ventrues, portées sur des pédicules raccourcis, reposent à terre comme alourdies par leur contenu liquide ; les autres, plus allongées, balancées au bout de longs pédicules tordus en vrille, semblent chasser au gibier de l’air comme les premières au gibier terrestre. Dans les deux cas, ce gibier consiste en animalcules d’ordre inférieur, insectes, araignées, etc., mais les dimensions de quelques urnes sont telles, qu’un oiseau et même un mammifère de petite taille pourraient s’y prendre et s’y noyer. Pour compléter la ressemblance avec une amphore, il ne manque rien à cet appareil, pas même un couvercle à charnière, qui tantôt se rabat sur l’orifice, tantôt se relève à demi, et plus rarement se réfléchit en arrière comme pour découvrir l’entrée de l’urne. Dans ce dernier, le couvercle, n’ayant point à servir d’appât, est dépourvu de toute glande à nectar ; presque toujours au contraire des glandes nombreuses, couvrant la face interne du couvercle, y versent un fluide sucré qui sert de leurre aux insectes et les attire à l’entrée du gouffre béant. L’entrée elle-même, par un raffinement de séduction, est à la fois attractive et conductrice : elle forme un bourrelet épaissi, humecté par une liqueur douceâtre, et dont le bord roulé en dedans s’infléchit comme l’entonnoir d’une souricière ou se découpe en pointes crochues assez fortes pour retenir au besoin un oiseau qui serait prisonnier dans l’urne. Celle-ci présente à sa face interne deux zones distinctes : en haut, la zone lisse et sans glandes d’où d’insecte se précipite faute d’y trouver un point d’appui, — plus bas, la zone aquifère où des milliers de petites glandes versent une eau limpide, à saveur peu accusée, mais à réaction manifestement acide. Le nom de distillatoria, donné par Linné au népenthes des Seychelles, implique l’idée assez juste que ce liquide est en effet un produit de sécrétion auquel la pluie et la rosée ne peuvent se joindre que d’une manière accidentelle. Une fois vidée, l’urne ne renouvelle son eau que lentement et dans des proportions assez faibles. Il s’en reforme néanmoins, même chez des