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engloutissant peu à peu une grenouille plus grosse que lui. Aucune irritabilité spéciale ne semble animer la valve du piège. Les poils glanduleux dont elle est couverte ne sont ni sécréteurs ni motiles. Ils n’ont donc rien de commun quant à leurs fonctions avec les tentacules du drosera ; ils rappelleraient davantage les poils glanduleux et sécréteurs des grassettes, mais rien ne prouve qu’ils versent dans le liquide des vésicules une liqueur susceptible d’altérer la vitalité des animalcules captifs. Ceux-ci pourtant meurent assez vite, après quelques jours de confinement, pendant lesquels ils ont tourné et retourné dans l’étroit espace de leur prison. D’où vient que leurs cadavres sont fréquens dans les vésicules ? d’où vient qu’on les trouve souvent à l’état d’informes détritus ? Mme Treat verrait volontiers dans la vésicule un estomac qui digère. Darwin conserve de grands doutes à cet égard, parce qu’il a vu de la chair et du blanc d’œuf durci rester trois jours et demi inaltérés dans l’espace où meurent les animalcules. Ceux-ci, pense-t-il, périraient plutôt d’asphyxie, pour avoir consommé complètement l’oxygène de l’eau qui remplit leur étroite geôle. Il admet pourtant que quelque ferment spécial puisse hâter la décomposition de leurs cadavres, de même que le suc du papayer, arbre très connu dans les régions chaudes, attendrit d’abord, puis altère rapidement les viandes qu’on soumet à son action. Nous touchons là, on le voit, à cette limite vague où divers modes de nutrition semblent se combiner et se confondre.

Parmi les utriculaires des contrées intertropicales, il en est qui, vivant dans la terre ou la mousse humide, possèdent néanmoins des vésicules sur les organes souterrains qui leur tiennent lieu de racines. L’espèce étudiée par Darwin, la jolie utricularia montana des Antilles, présente de plus cette particularité curieuse, de porter sur les divisions capillaires de ses rhizomes des tubercules qui, au lieu d’être, comme à l’ordinaire, des réservoirs de nourriture, sont plutôt des réservoirs d’eau contre la soif à venir. Dépourvues de fécule, mais très gorgées de liquide, leurs cellules semblent partager ce rôle de citernes souterraines avec les vésicules elles-mêmes, qui sont remplies d’eau comme celles des utriculaires flottantes. Leur proie ordinaire consiste en animalcules terrestres, notamment en mites ou acariens. Plus compliqués encore sont les appareils vésiculaires des genlisea, autre genre d’utriculariées des tropiques, si compliqués même que nous renonçons à les décrire, renvoyant à l’ouvrage de Darwin pour ces détails dans lesquels éclate l’art infini de l’adaptation des moyens au but. Il est temps d’ailleurs de sortir de ces minuties microscopiques : d’autres genres vont nous présenter sous des proportions relativement grandioses ces appareils de chasse aux insectes.