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le degré, le mode et la nature de ses facultés d’absorption restent encore un problème plein d’incertitudes et de lacunes. Avis aux botanistes assez heureux pour avoir le loisir et l’occasion de scruter le mystère des repas de cette nymphe des eaux !

En choisissant le rossolis à feuilles rondes, la dionée attrape-mouches et l’aldrovandie comme types des mœurs de leur famille, nous n’avons voulu donner de ces mœurs qu’un aperçu général. Ce serait abuser sans doute de l’attention des lecteurs non botanistes que pousser plus avant cette étude des droséracées. La plante géante du groupe, le drosophyllum du Portugal et du Maroc, les roridula du Cap, les byblis et le drosera binata de la Nouvelle-Hollande nous présenteraient encore bien des nuances dans la manière de capturer une proie ; mais il faut arrêter ici une revue que trop de détails rendraient fastidieuse. D’ailleurs d’autres sujets nous appellent et vont nous montrer sous de nouveaux aspects le même problème de digestion végétale.


IV. — les utriculariées.


L’étude des mœurs des droséracées nous a révélé chez ces plantes singulières des habitudes presque animales dans leur manière de saisir et de sucer une proie. Toutes sont ce qu’on pourrait appeler des pièges actifs, dans lesquels un mouvement lent ou rapide intervient pour la capture des insectes : toutes digèrent avec une prédilection marquée, sinon exclusive, les produits vivans ou morts qui peuvent fournir de l’azote à leurs tissus. Ce sont là les carnivores par excellence. Ce double caractère de piège actif et de carnivorité se rencontre également chez des plantes qui n’ont aucun rapport de parenté avec les droséracées, mais que certains caractères de leurs feuilles m’avaient fait jadis comparer au drosera, analogie que les observations originales de Darwin viennent de mettre en pleine lumière.

Les pinguicula (tel est le nom de ces plantes, que traduit en français le diminutif grassette) se font remarquer par un certain éclat humide et comme onctueux de leurs feuilles. Dans les espèces d’Europe, dont les jolies fleurs ressemblent à des violettes, ces feuilles, étalées en rosette sur la mousse des tourbières ou des pelouses, ont la forme d’une langue à bords légèrement enroulés, à texture molle et charnue. Elles sont humectées d’un fluide mucilagineux et transparent, qui ne perle pas en gouttelettes brillantes comme chez le drosera, mais qui s’accumule souvent dans les gouttières des bords enroulés ou dans les parties déclives du limbe. Cette liqueur est évidemment organique. Elle résiste aux lavages de la pluie et à l’action desséchante du soleil ; c’est qu’elle suinte