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lules. La disparition graduelle des fluides épais produits pendant la digestion, trop rapide pour qu’on puisse y voir un simple effet d’évaporation dans l’air, donnerait au fond la preuve la plus directe de l’absorption de ces fluides par les glandes. Le fait semble très évident chez la dionée, comme on le verra plus loin ; mais il faut bien avouer que cette partie de la question est celle qui appelle encore le plus de recherches. Avec les maigres données expérimentales que l’on possède à cet égard, il est difficile de se faire une idée précise de la part que prennent à l’absorption la surface générale de la feuille et les cellules des tentacules. Bien plus malaisé serait-il de définir dans quelle étendue de l’organisme entier de la plante se diffuse la matière supposée nutritive que la surface du limbe foliaire a digérée. Peut-être même serait-ce trop s’avancer que de voir dans la digestion foliaire un élément absolument nécessaire de la nutrition du drosera. Ce pourrait n’être qu’un supplément très utile d’alimentation pour une plante qui vit parfois dans le sphagnum pur, c’est-à-dire dans une mousse blanchâtre pauvre en chlorophylle, à tige gorgée d’eau, imprégnée des produits acides de l’humus particulier aux tourbières, mais peu riche d’ailleurs en élémens azotés. C’est même une observation judicieuse de Darwin que, chez les droséracées et chez les plantes carnivores en général, le système radiculaire (lorsqu’il n’est pas nul comme chez l’aldrovandie) est singulièrement peu développé : les maigres racines du drosera doivent néanmoins être de puissans suçoirs pour puiser l’eau nécessaire à tenir humide et gorgé le tissu charnu de ces feuilles, dont chacune porte de 120 à 260 poils visqueux coiffés de leur gouttelette toujours fraîche même sous l’action desséchante du soleil. Ainsi le drosera boirait largement, mais mangerait peu par ses racines : la nourriture azotée lui parviendrait par les feuilles comme un élément utile, sinon absolument indispensable à son développement normal.

Ces réserves, que nous croyons devoir faire sur le dernier acte (et non le moins important) de la carnivorité des droséracées, ne détruisent pas le fait même de la digestion. Pratiquement il peut manquer à cette partie du phénomène la précision et la démonstration expérimentale qu’on est en droit de demander à toute théorie nouvelle ; mais, les prémisses étant données, je veux dire la capture d’une proie, puis la dissolution de cette proie au moyen d’un suc en tout semblable au suc gastrique, on se demande à quoi devraient aboutir ces préliminaires, si la conséquence n’en devait être une utilisation des produits ainsi préparés… Je sais bien que la méthode sévère de la science moderne se méfie de plus en plus des raisonnemens fondés sur l’idée de finalité, mais, qu’on le veuille ou non, les considérations de ce genre seront toujours pour quelque chose