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faisait naturellement pécher par la base cette dernière assimilation.

Les causes d’excitation des tentacules sont nombreuses et variées. Et d’abord il en est de purement mécaniques, le choc, la pression par exemple. Un simple choc par un corps dur ne cause pas d’incurvation ; trois, quatre ou plusieurs chocs répétés déterminent plus ou moins cette inflexion, suivant l’état de l’organe ; mais l’influence d’une pression continue, même très légère, est véritablement étonnante. C’est dans le détail des expériences de ce genre que brille l’ingéniosité de Darwin. Employant des particules très ténues de verre, de cheveux, de liège, il s’est assuré que les tentacules s’infléchissent sensiblement dès que, franchissant en partie la couche de viscosité accumulée sur la glande, ces particules arrivent en contact du tissu sécréteur lui-même. Chose merveilleuse, le poids d’un fragment de cheveu, estimé par d’ingénieux calculs à 8 millièmes de milligramme, a suffi pour produire sensiblement ce phénomène. Or, tandis que de tels fétus agissent comme excitateurs en tant que particules solides, de grosses gouttes de pluie frappant ces mêmes organes, un souffle de l’haleine humaine ou du vent, peuvent les agiter sans que le mouvement d’inflexion se produise au moindre degré. Darwin serait tenté d’expliquer ce fait par une sorte d’assuétude acquise à travers les âges par les générations du drosera. Cette explication un peu hardie est dans le courant d’idées de la sélection naturelle ; mais en tout cas l’auteur reconnaît ingénument que l’impassibilité du drosera à l’égard du vent et de la pluie est une qualité très utile pour une plante appelée à tenir tendus des pièges que ces météores auraient pu sans cela détendre à tout moment : aveu précieux à recueillir de la bouche d’un des adversaires de la théorie des causes finales. Qu’on invoque tant qu’on voudra les adaptations des moyens au but, on n’effacera pas de l’idée des hommes de simple bon sens que de si merveilleux agencemens, tout soumis qu’ils sont en tant que faits aux lois fatales du déterminisme, ne se rattachent pas néanmoins par leurs causes les plus profondes au plan harmonique d’une intelligence ordonnatrice[1].

Pour rester dans le domaine des excitans purement physiques, c’est le cas de signaler ici les effets de la chaleur et de l’électricité sur les mouvemens du drosera. La chaleur modérée, ainsi qu’on pouvait le prévoir, augmente l’excitabilité de la plante. Plongées

  1. Darwin, il est vrai, atténue lui-même l’aveu en question en ajoutant que, dans bien des cas, les tentacules de drosera se rabattent sans utilité sur des corps inertes qui ne peuvent rien fournir à la plante. La finalité serait donc en défaut sur ce point ; mais cet argument touchera peu ceux qui, comme moi, admettent le mal au sens humain comme ayant sa place dans la nature, sans que ces écarts partiels troublent l’harmonie générale des choses.