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Charles-Quint à Saint-Just, — si nous relevions, dis-je, en ces trente dernières années ce que l’école française a produit de plus saillant et de plus honorable dans le genre, nous trouverions que l’élément dramatique, pathétique, romanesque, historique ou sentimental a contribué presque autant que le talent des peintres au succès de leurs ouvrages.

Apercevez-vous quelque chose de semblable en Hollande ? Leurs livrets sont désespérans d’insignifiance et de vague : la Fileuse au troupeau, voilà à La Haye pour Karel Dujardin ; pour Wouwerman, l’Arrivée à l’hôtellerie, Halte de chasseurs, Manège de campagne, le Chariot (un tableau célèbre), un Camp, le Repos des chasseurs, Halte de chasseurs, etc. ; pour Berghem, Chasse au sanglier, Un Gué italien, Pastorale, etc. ; pour Metzu, ce sont le Chasseur, les Amateurs de musique ; pour Terburg, la Dépêche, et ainsi de suite pour Gérard Don, pour Ostade, pour Miéris, même pour Jean Steen, le plus éveillé de tous et le seul qui, par le sens profond ou grossier de ses anecdotes, soit un inventeur, un caricaturiste ingénieux, un humoriste de la famille d’Hogarth, et qui soit un littérateur, presqu’un auteur comique en ses facéties. Les plus belles œuvres se cachent sous des titres de même platitude. Le si beau Metzu du musée Van der Hoop est appelé le Cadeau du chasseurn et personne ne se douterait que le Repos près de la grange désigne un incomparable Paul Potter, la perle de la galerie d’Aremberg. On sait ce que veut dire le Taureau de Paul Potter, la Vache qui se mire ou la Vache… encore plus célèbre de Saint-Pétersbourg. Quant à la Leçon d’anatomie et à la Ronde de nuit, on me permettra de penser que la signification morale du sujet n’est pas ce qui assure à ces deux œuvres l’immortalité qui leur est acquise.

On semble donc avoir tous les dons du cœur et de l’esprit, sensibilité, tendresses, sympathies généreuses pour les drames de l’histoire, expérience extrême de ceux de la vie, on est pathétique, émouvant, intéressant, imprévu, instructif, — partout ailleurs que dans l’école hollandaise. Et l’école qui s’est le plus exclusivement occupée du monde réel semble celle de toutes qui en a le plus méconnu l’intérêt moral, et encore, celle de toutes qui s’est le plus passionnément vouée à l’étude du pittoresque semble moins qu’aucune autre en avoir aperçu les sources vives. Quelle raison un peintre hollandais a-t-il de faire un tableau ? Aucune ; et remarquez qu’on ne la lui demande jamais. Un paysan au nez aviné vous regarde avec son gros œil et vous rit à pleines dents en levant un broc : si la chose est bien peinte, elle a son prix. Chez nous, quand le sujet s’absente, il faut du moins qu’un sentiment vif et vrai et que l’émotion saisissable du peintre y suppléent. Un paysage qui n’est pas teinté fortement aux couleurs d’un homme est une œuvre