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Aussi, quand un homme historique n’a pas fait entrer dans sa vie cet élément de puissant attrait, on dirait qu’il lui manque quelque chose. Il est compris par les moralistes et par les savans, ignoré des autres hommes. Si le contraire arrive, sa mémoire est sauve. Un peuple disparait avec ses lois, ses mœurs, sa politique, ses conquêtes ; il ne subsiste de son histoire qu’un morceau de marbre ou de bronze, et ce témoin suffit, il y eut un homme, un très grand homme par les lumières, par le courage, par le sens politique, par les actes publics : peut-être ne saurait-on pas son nom, s’il n’était tout embaumé de littérature, et sans un statuaire de ses amis qu’il employa pour décorer le fronton des temples. Un autre était fat, léger, dissipateur, fort spirituel, libertin, vaillant à ses heures, on parle de lui plus souvent, plus universellement que de Solon, de Platon, de Socrate, de Thémistocle. Fut-il plus sage, plus brave ? Servit-il mieux la vérité, la justice, les intérêts de son pays ? Il a surtout ce charme d’avoir aimé passionnément ce qui est beau : les femmes, les livres, les tableaux et les statues. Un autre fut un général malheureux, un politique médiocre., un chef d’empire étourdi ; mais il eut cette fortune d’aimer une des femmes les plus séduisantes de l’histoire, et cette femme était, dit-on, la beauté même.

Vers dix heures, la pluie tomba, La nuit était close ; l’étang ne miroitait plus qu’imperceptiblement, comme un reste de crépuscule aérien oublié dans un coin de la ville. La renommée ne parut pas. Je sais ce qu’on peut objecter à ses préférences, et mon dessein n’est pas de les juger.


IV

Une chose vous frappe quand on étudie le fond moral de l’art hollandais, c’est l’absence totale de ce que nous appelons aujourd’hui un sujet. Depuis le jour où la peinture cessa d’emprunter à l’Italie son style et sa poétique, son goût pour l’histoire, pour la mythologie, pour les légendes chrétiennes, jusqu’au moment de décadence où elle Y revint, — à partir de Bloemaert et de Poelemburg jusqu’à Lairesse, Philippe Van-Dyck et plus tard Troost, — il s’écoula près d’un siècle pendant lequel la grande école hollandaise parut ne plus penser à rien qu’à bien peindre. Elle se contenta de regarder autour d’elle et se passa d’imagination. Les nudités, qui n’étaient plus de mise en cette représentation de la vie réelle, disparurent. L’histoire ancienne, on l’oublia, l’histoire contemporaine aussi, et c’est là le phénomène le plus singulier. A peine aperçoit-on, noyés dans ce vaste milieu de scènes de genre, un tableau comme la Paix de Munster, de Terburg, ou quelques faits des