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claire et la manière brune : la claire défendue par les dessinateurs, la brune inaugurée par les coloristes et conseillée par l’Italien Caravage. On entre dans le pittoresque, on travaille à régler le clair-obscur : la palette s’émancipe, la main aussi. Rembrandt, a déjà ses précurseurs directs ; le genre proprement dit se dégage au milieu des obligations de l’histoire ; on est bien près de la définitive expression du paysage moderne. Enfin un genre presque historique et profondément national est créé : le tableau civique, et c’est sur cette acquisition, la plus formelle de toutes, que finit le XVIe siècle et que s’ouvre le XVIIe. Dans cet ordre de grandes toiles à portraits multiples, en fait de doelen ou de regenten-stukken, suivant la rigoureuse appellation de ces œuvres spécialement hollandaises, on trouvera autre chose, on ne fera pas mieux.

Voilà, comme on le voit, des germes d’école, d’école pas encore. Ce n’est pas le talent qui manque ; il abonde. Parmi ces peintres en voie de s’instruire et de se décider, il y a de savans artistes, il y aura même un ou deux grands peintres. Moreelse issu de Mierevelt, Jean Ravesteyn, Lastman, Pinas, Frans Hals, un maître incontestable, Poelemburg, Van-Schotten, Van de Venne, Théodore de Keyser, Honthorst, le vieux Cuyp, enfin Esaïas van de Velde et Van-Goyen, avaient leurs noms sur le registre des naissances en cette année 1697. Je cite les noms sans autre explication. Vous reconnaîtrez aisément dans cette liste ceux dont l’histoire doit se souvenir ; surtout vous distinguerez les tentatives qu’individuellement ils représentent, les maîtres futurs qu’ils annoncent, et vous comprendrez ce qui manquait encore à la Hollande et ce qu’il fallait indispensablement qu’elle possédât, sous peine de laisser perdre ces belles espérances. Le moment était critique ; ici, nulle existence politique bien assurée et partant tout le reste entre les mains du hasard ; en Flandre au contraire, même réveil avec des certitudes de vie que la Hollande était loin d’avoir acquises. La Flandre regorgeait de peintres déjà façonnés ou tout près de l’être. À cette même heure, elle allait fonder une autre école, la seconde en un peu plus d’un siècle, aussi éclatante que la première et de voisinage bien autrement dangereux, extraordinairement nouvelle et dominante. Elle avait un gouvernement supportable, mieux inspiré, des habitudes anciennes, une organisation définitive et plus compacte, des traditions, une société ; aux impulsions venues d’en haut s’ajoutaient des besoins de luxe et par conséquent des besoins d’art plus excitans que jamais ; en un mot, les stimulans les plus énergiques et les plus fortes raisons portaient la Flandre à devenir pour la seconde fois un grand foyer d’art. Il ne lui manquait plus que deux choses : quelques années de paix, elle allait les avoir, — un maître pour constituer l’école, il était trouvé. En cette même