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LES MAÎTRES D AUTREFOIS. 603 survenait des soucis, des tracas, des difficultés avec moi-même et qu’il me fallût de la tranquillité pour les résoudre et beaucoup de charme autour de moi pour les calmer, je ferais comme l’Europe après ses orages, c’est ici que j’établirais mon congrès.

La Haye est une capitale, cela se voit, même une cité royale : on dirait qu’elle l’a toujours été. Il ne lui manque qu’un palais digne de son rang pour que tous les traits de sa physionomie soient d’accord avec sa destinée finale. On sent qu’elle eut des princes pour stathouders, que ces princes étaient à leur manière des Médicis, qu’ils avaient du goût pour le trône, devaient régner quelque part, et qu’il ne dépendit pas d’eux que ce ne fût ici. La Haye est donc une ville souverainement distinguée ; c’est là pour elle un droit, car elle est fort riche, et un devoir, car les belles manières et l’opulence, c’est tout un quand tout est bien. Elle pourrait être ennuyeuse, elle n’est que régulière, correcte et paisible ; il lui serait permis d’avoir de la morgue, elle n’a que du faste et de très grandes allures. Elle est propre, cela va sans dire, mais pas comme on le suppose et seulement parce qu’elle a des rues bien tenues, des pavés de briques, des hôtels peints, des glaces intactes, des portes vernies, des cuivres brillans : parce que ses eaux, parfaitement belles et vertes, vertes du reflet de leurs rives, ne sont jamais salies par le sillage fangeux des galiotes et par la cuisine en plein vent des matelots. Ses bois sont admirables. Née d’un caprice de prince, autrefois rendez-vous de chasse des comtes de Hollande, elle a pour les arbres une passion séculaire qui lui vient de la forêt natale où fut son berceau. Elle s’y promène, y donne des fêtes, des concerts, y met ses courses, ses manœuvres militaires, et, quand ses belles futaies ne lui sont d’aucun usage, elle a constamment sous les yeux ce vert, sombre et compacte rideau de chênes, de hêtres, de frênes, d’érables que la perpétuelle humidité de ses lagunes semble tous les matins peindre d’un vert plus intense et plus neuf.

Son grand luxe domestique, le seul au reste qu’elle affiche ostensiblement avec la beauté de ses eaux et la splendeur de ses parcs, celui dont elle décore ses jardins, ses salons d’hiver et d’été, ses vérandahs en bambous, ses perrons, ses balcons, c’est une abondance inouïe de plantes rares et de fleurs. Ces fleurs lui viennent de partout et vont partout ; c’est ici que l’Inde s’acclimate avant d’aller fleurir l’Europe. Elle a, comme un héritage des Nassau, conservé le goût de la campagne, des promenades en carrosse sous bois, des ménageries, des bergeries, des beaux animaux libres sur des pelouses. Son style architectural la rattache au XVIIe siècle français. Ses fantaisies, un peu de ses habitudes, sa parure exotique et son odeur lui viennent d’Asie. Son confortable actuel a passé par l’Angleterre et en est revenu, en sorte qu’à l’heure présente on ne