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talens, un fonds de bonne humeur, le don de la plaisanterie, surtout beaucoup de caractère et de courage, mais il la montre « dépourvue de toute délicatesse féminine. » Il ajoute ces paroles doublement dures dans la bouche d’un chef des whigs : « Si la reine Caroline n’était pas folle, c’était une femme très méprisable. » Lord Eldon, le vieux tory, qui l’a poursuivie avec tant d’acharnement après avoir été un des familiers de sa petite cour, a confessé dans une heure d’épanchement, sauf à se condamner lui-même, qu’il ne la croyait point « saine d’esprit. » Lord Campbell, dans sa Vie de lord Brougham, rejette toutes les fautes de la reine sur la bizarrerie de son caractère, bizarrerie qui semble indiquer un trouble du cerveau ; selon lui, elle aimait à braver le qu’en dira-t-on, elle se plaisait aux situations équivoques pour faire nargue des convenances, une de ses joies était de scandaliser le monde par goût des mystifications. Enfin l’historien allemand Gervinus, celui de tous qui l’a jugée, avec le plus de faveur, dit que la reine Caroline, dans une période de réaction, a été victime d’un prince débauché, comme Marie-Antoinette, pendant la révolution, avait été victime d’un peuple en furie. Il est vrai que, pour justifier ce rapprochement inattendu, il aurait besoin de recourir à des procédés qui ne sont pas ceux de l’histoire. « Sa biographie, dit-il, élevée à une certaine hauteur poétique, formerait un des tableaux psychologiques les plus tragiques et les plus saisissans. » Malheureusement cette hauteur poétique n’apparaît qu’à l’heure de la lutte et dans les discours d’Henry Brougham ; partout ailleurs on la chercherait en vain. Gervinus lui-même nous rend impossible ce travail de transfiguration quand il nous représente la pauvre princesse si mal élevée à Brunswick, respirant l’atmosphère d’une cour licencieuse, d’une famille divisée, n’ayant sous les yeux que de mauvais exemples, quinteuse, fantasque, incohérente, « capable de se plaire à des folies, à des plaisanteries de bas étage, et de s’élever soudain à de surprenantes hauteurs de sympathie et de caractère. »


Voilà bien des jugemens sur la reine Caroline, et des jugemens qui renferment tous une part de vérité. Le plus vrai de tous, à mon avis, est celui que la princesse Charlotte, dans les épanchemens de son âme, exprimait un jour d’une façon si poignante, et que Stockmar nous a conservé mot pour mot : « Ma mère a mal vécu ; elle n’aurait pas vécu si mal, si mon père n’eût vécu bien plus mal encore. »


SAINT-RENE TAILLANDIER.