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l’injurieux abandon du peuple de Londres. Le roi se mit en route le 31 juillet ; trois jours après, la reine, au milieu des apprêts de son départ, fut saisie d’une fièvre qui prit immédiatement le caractère le plus grave. Elle était tombée malade le 3 août ; le 7 elle expira.

On dirait que l’étrange créature a voulu montrer jusque dans la mort les deux traits principaux de son caractère, je ne sais quel besoin de braver l’opinion et une ardeur de lutte véritablement indomptable. Sauf quelques legs aux personnes de sa maison, elle laissait par son testament tous ses biens présens. et tous ceux qui devaient lui revenir de sa mère, la duchesse de Brunswick, à un jeune homme nommé William Austin. C’était précisément ce même enfant qui, élevé dans sa villa de Blackheath, avait excité contre elle en 1806 les premiers soupçons d’inconduite. Bien que l’enquête dirigée alors par les plus grands personnages du royaume eût écarté toute accusation d’adultère, il en était résulté cependant une impression fâcheuse et pour les juges et pour le public ; en instituant son légataire universel l’enfant dont la présence mystérieuse avait causé un tel scandale, la reine prenait plaisir à montrer à la face du monde son mépris de l’opinion. Elle montrait aussi son implacable haine lorsque, décidée à poursuivre du fond du cercueil l’odieux persécuteur, elle écrivait ces mots dans son codicille : « Je veux que mon corps soit porté sans pompe à Brunswick et que l’on grave cette inscription sur mon tombeau : « à la mémoire de Caroline-Amélie-Elisabeth de Brunswick, reine outragée d’Angleterre. »

Cette mort soudaine, sans réveiller pour la reine les sympathies passées, souleva de nouveaux murmures contre le roi. Des bruits sinistres couraient par la ville. George IV, recevant la nouvelle en Irlande, n’avait pas dissimulé sa joie. On lui attribue cette parole odieuse : « C’est la plus grande délivrance que je puisse désirer. » La délivrance arrivait si fort à point que bien des gens le soupçonnèrent d’y avoir aidé. Telle était la confiance qu’inspirait George IV : la reine est morte, c’est le roi qui l’a tuée ! Effrayé de ces rumeurs croissantes, le ministère prit immédiatement des mesures. Il fallait prévenir une manifestation où la personne du souverain aurait subi de terribles atteintes. On décida que le cercueil de la reine serait enlevé le 14 de Brandenburg-house, dans un carrosse à huit chevaux, et que, sans traverser la cité, il serait dirigé sur Harwich, où une frégate le recevrait pour le transporter sur le continent. Vaines précautions ! quand le cortège, avec son escorte de dragons et de troupes de ligne, voulut prendre les rues qui lui permettaient d’éviter le centre de la ville, il les trouva barricadées par des charrettes. S’il se détournait à droite ou à gauche, il était arrêté à chaque pas par des troupes d’hommes à cheval qui lui disputaient le passage. Lentement, lentement, à force de rames, comme une barque trop