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pareille manifestation depuis la victoire de Waterloo. Tous les édifices de la cité étaient illuminés. La plus grande partie des rues de Londres présentait le même spectacle. Le port s’associait à ce triomphe, tous les navires à l’ancre semblaient fêter une solennité nationale ; sur les tillacs, sur les vergues, à la pointe des mâts, éclataient des feux et se balançaient des girandoles. Les voitures publiques étaient ornées de feuillages. Une foule ardente se portait chaque soir aux hôtels des ministres et aux bureaux : des journaux ministériels pour les forcer d’illuminer. Les constables et la troupe réussirent pourtant à maintenir un certain ordre au milieu de ce délire. Il y eut en somme peu de fenêtres brisées. Le jour, des scènes étranges ameutaient la populace. Les témoins de la commission de Milan, si vigoureusement flagellés par Brougham, furent brûlés en effigie au milieu des acclamations. Dans les hautes sphères de la société de Londres, des marques d’approbation bien plus graves encore accueillirent la défaite de George IV. Le prince Léopold, si réservé, si attentif à toutes ses démarches, car l’Angleterre, on l’a vu, avait constamment les yeux sur lui, s’empressa d’aller rendre visite à sa belle-mère. Un frère même du roi, le duc de Sussex, porta ses félicitations à la reine. Enfin, symptôme significatif dans ce monde des grandes affaires, il y eut le lendemain même de l’ajournement du bill une hausse considérable des fonds publics. Les mêmes transports éclatèrent d’un bout du royaume à l’autre. D’Angleterre, du pays de Galles, d’Ecosse, d’Irlande, des adresses arrivaient par milliers à la reine Caroline. On pense bien que Brougham eut sa large part dans ces démonstrations de l’enthousiasme public. De tous les quartiers de la ville et de tous les points du royaume, des corporations ouvrières lui envoyaient leurs diplômes enfermés dans des boîtes d’or. Il reçut un jour une magnifique paire de candélabres ; c’était le produit d’une souscription à un penny ouverte par des paysans et des mécaniciens. On vendait son buste dans les rues avec celui de la reine. Enfin, c’est un détail qui nous est signalé par lord Campbell, ces mots, à la tête de Brougham, devinrent une enseigne pour les débits de bière[1]. « Une chose de plus grande importance, ajoute lord Campbell avec une pointe d’ironie, c’est que sa clientèle doubla immédiatement. Dès qu’il paraissait devant un tribunal, à Londres ou ailleurs, les avocats s’empressaient autour de lui. Dans une de ses tournées, aux assises d’York, de Durham, de Newcastle, de Carlisle, d’Appleby, de Lancastre, on arrivait de tous côtés pour voir et entendre l’illustre

  1. The Brougham’s head became a common sign for beershops. Lives of the lord chancellors, t. VIII, p. 324.