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Un curieux pendant à cette lettre de George III, c’est le billet que son illustre successeur, comme dit gravement Brougham, avait écrit à la princesse de Galles un an après son mariage pour lui signifier qu’ils vivraient dorénavant chacun de son côté. Brougham hésite à en donner lecture, tant la chose est connue. Cependant il ne serait pas inutile de la placer auprès de la lettre du roi, cette lettre qui n’est pas écrite assurément dans le même ton, qui n’exprime pas les mêmes sentimens affectueux, mais qui n’indique aucun manque de confiance, qui ne révèle du moins aucun désir de soumettre la conduite de la reine à une scandaleuse inquisition. L’auteur de la lettre donne à la princesse de Galles la permission de vivre à part, il désire ne plus la rencontrer jamais, il affirme que cette séparation absolue est ce qu’il y a de plus souhaitable pour leur bonheur à tous deux ; après cela, devait-on s’attendre à voir la conduite de sa majesté scrutée avec l’impitoyable rigueur qu’amène nécessairement un bill de peines et de châtimens ? Ah ! certes il serait intéressant de la relire, cette lettre du prince de Galles, en face du bill odieux présenté par ses ministres. — Lisez ! lisez ! lui crient plusieurs voix. Il la lit, et la signification de ce document a été si bien indiquée par avance que l’orateur n’a plus besoin d’en donner le commentaire. C’est comme s’il disait de sa voix la plus vibrante : A supposer que la reine eût failli, vous n’auriez pas le droit de la poursuivre, vous, le roi, bien plus coupable qu’elle, qui l’avez induite à faillir. À supposer qu’elle eût compromis en Italie sa dignité souveraine, vous n’auriez pas le droit de la condamner, vous, lords d’Angleterre, qui avez repoussé la fille adoptive de George III et l’avez obligée à s’exiler du royaume.

La discussion est finie, l’orateur n’a plus qu’à se résumer. Comment a-t-il renversé l’accusation ? Il a prouvé que chacune des dépositions était entachée de mensonge. Des témoins convaincus d’avoir menti sur un point peuvent-ils être crus sur le reste, alors même qu’ils s’accordent dans une partie de leurs narrations ? Non, cet accord même n’est qu’un mensonge de plus, il prouve qu’il y a un complot. L’histoire en a vu de ces complots infâmes soutenus avec art, avec autorité, avec toutes les apparences du vrai, et que la découverte d’une seule contradiction a démasqués subitement. Il cite alors, d’après le livre de Daniel, les deux juges Israélites à Babylone, calomniant la femme de Joachim. Leur complot semblait avoir réussi de tout point. « Ils avaient détourné les yeux, dit le récit biblique, pour ne point voir le ciel et ne se point souvenir des justes jugemens[1]. » Cependant tout à coup, dans ce réseau de mensonges si adroitement préparé, un fil éclate, une maille se

  1. Daniel, chapitre XIII, verset 9 : « Declinaverunt oculos suos ut non vidèrent cœlum neque recordarentur judiciorum justorum. »