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encore été obligée de s’expatrier, quand elle avait encore des protections parmi nous, quand elle avait encore la plus puissante de toutes les protections, celle de feu notre vénéré monarque. J’ai entre les mains un témoignage qu’on ne saurait lire, qu’on ne saurait apprécier, j’en suis sûr, sans un profond sentiment de son importance, surtout sans une profonde impression de tristesse, si, nous rappelant le règne qui vient de finir, nous le comparons à la situation présente. C’est une preuve mélancolique, — d’autant plus mélancolique, hélas ! que celui qui nous la fournit nous a quittés plus récemment, — c’est une preuve, dis-je, que cet illustre souverain avait les yeux sur la princesse, qu’il la connaissait mieux que ne la connaissaient tous les autres, qu’il l’aimait mieux que ne l’aimaient tous les autres membres de la famille royale, y compris ceux-là même à l’affection desquels elle avait le plus de droits, enfin qu’il la préférait à ses propres enfans. Il y a dans cette lettre une telle droiture, une telle honnêteté, un sens si ferme et si viril que je ne puis résister, au désir de la lire. »


Brougham lit alors une lettre que George III écrivait à sa belle-fille le 13 novembre 1804, lettre aussi honorable pour la princesse de Galles que fâcheuse pour le prince. On savait déjà que, dans la querelle du prince et de sa femme, le roi avait pris parti pour sa belle-fille contre son fils ; la lettre de George III rend la chose plus présente en nous introduisant dans l’intérieur de la famille royale. « Hier, écrit-il, moi et les autres membres de ma famille nous avons eu une entrevue avec le prince de Galles au château de Kew. On a eu soin de tous côtés d’éviter tous les sujets d’altercation ou d’explication, aussi la conversation n’a-t-elle été ni instructive ni intéressante ; mais elle laisse le prince de Galles en situation de montrer si son désir de revenir à sa famille est une parole vaine ou une réalité, » only verbal or real. Brougham, interrompant ici sa lecture, fait remarquer que George III n’a jamais connu cette distinction pour lui-même ; c’est seulement en parlant des autres que le vieux souverain si honnête, si droit, si simple, a pu distinguer le langage et les sentimens que le langage exprime, ce qui est dans le cœur et ce qui n’est que sur les lèvres. Dans la. dernière partie de sa lettre, le bon vieux roi se plaint de son peu d’adresse à terminer ces pénibles affaires. Il parle de la chère enfant (la princesse Charlotte âgée alors de huit ans), il constate les droits maternels de la princesse de Galles, et dit combien il serait heureux de trouver un arrangement qui lui permît de vivre encore plus dans sa compagnie. C’est ce sentiment qui l’empêche de se décourager de la poursuite des moyens, si difficile que soit la tâche. La lettre finit par ces mots : « croyez-moi en tout temps, ma très chère belle-fille et nièce, votre très affectionné beau-père et oncle. George, roi. »