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inquiétudes étaient si vives que le ministère craignit de voir toute une partie de la chambre disparaître aux approches du péril. Comme tout était extraordinaire dans ce procès, il fallut prendre des mesures extraordinaires pour retenir les lords trop empressés d’aller visiter leurs domaines ; la chambre décida qu’aucun de ses membres ne pourrait s’absenter sous peine d’une amende de 100 livres (2,500 francs) pour chacun des trois premiers jours, et de 50 livres (1,250 francs) pour chacun des jours suivans. Étaient excusés les pairs âgés de plus de soixante-dix ans, ceux qui se trouvaient hors du royaume au 10 juillet, jour où la seconde lecture du bill avait été ordonnée, ceux qui étaient absens pour le service du roi, enfin ceux qui étaient sous le coup d’un grand deuil de famille, ayant perdu leur père ou leur mère, leur femme ou leur enfant.

L’heure sonne enfin, la séance du 17 août a commencé. Pendant qu’on procède à l’appel des pairs, dont quarante-huit ont envoyé leurs excuses, la reine entre dans la salle. Tous les pairs se lèvent. Elle fait trois révérences et va prendre place sur un siège préparé pour elle à côté des degrés du trône. Elle est vêtue de noir, avec un voile blanc qui lui couvre le visage. L’appel des lords terminé, une discussion préliminaire s’engage comme celle qui a déjà eu lieu à la première lecture du bill ; M. Brougham dit que son auguste cliente lui a défendu toute récrimination, que cet ordre venu d’en haut est conforme à ses propres sentimens, que ce sont là des argumens périlleux, des argumens redoutables, mais que les formes arbitraires de ce bill pourront, malgré ses répugnances, le contraindre à s’en servir. L’avocat ne connaît que son devoir, et, coûte que coûte, il est tenu de le remplir. Son devoir en ce moment est de combattre par tous les moyens le principe même du bill. Il se tourne alors vers les archevêques qui siègent parmi les lords, et leur demande si l’adultère n’est un crime que chez la femme. Qu’il convienne aux personnes présentes de voir ou de ne pas voir les intentions cachées sous de misérables prétextes, on ne réussira pas à tromper le bon sens de la nation ; tous ceux qui jugeront la chose à distance seront surpris et choqués. « Dans leur langage familier, ils qualifieront d’attentat l’idée de poursuivre sous le masque un dessein qu’on n’avoue pas. — Voilà un homme, diront-ils, qui veut se débarrasser de sa femme. Il parle de l’honneur du pays, de la sécurité du pays, et les plus chers intérêts de ce pays, son repos, sa moralité, son bonheur, vont être sacrifiés à l’assouvissement de sa passion. » Les lois de l’Angleterre, les décisions constantes de la chambre des lords, sont explicites sur ce point : le mari qui demande le divorce est tenu de prouver qu’il paraît lui-même reclus in curia, et qu’ayant toujours été un fidèle mari, il a le droit de requérir la dissolution du mariage en raison de l’infidélité de sa femme.