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tribunal ? C’est ce que le ministère allait décider sur le rapport du comité secret de la chambre des lords chargé d’examiner les pièces du sac vert. La reine et ses conseillers avaient protesté en vain contre cette enquête mystérieuse ; malgré leur ardent appel à la publicité pour les préliminaires du procès comme pour le procès lui-même, le comité de la chambre des lords poursuivait sa besogne dans l’ombre. Ce travail, terminé le 4 juillet, fut communiqué le soir même en séance publique. Le rapporteur concluait à la nécessité d’une enquête solennelle, le premier examen secret fournissant assez de preuves de la culpabilité de la reine ; il ajoutait que, d’après l’avis du comité, le moyen le plus convenable de faire cette enquête était une procédure devant le parlement.

Le lendemain, au début de la séance, nouvelle pétition de la reine à la chambre des lords ; elle proteste contre ce rapport et demande que ses avocats soient admis à la barre pour le combattre. Lord Eldon répond que cette demande est prématurée, que le rapport s’adresse à la chambre, qu’un bill va lui être présenté à la suite de ce rapport, et que ce droit de présenter un bill, même sans avis préalable, ne saurait être entravé par aucune circonstance extérieure. En même temps, lord Liverpool, au nom du gouvernement, présente un bill de peines et punitions contre la reine. Le ministère, dit-il, après en avoir conféré avec les plus savans jurisconsultes, s’est convaincu qu’il n’y a pas lieu de procéder par un acte d’accusation, parce que les lois qui statuent sur le crime d’adultère commis par une reine avec un sujet du roi sont muettes sur le même crime commis avec un étranger ; il est donc nécessaire de recourir à une mesure législative. Le premier ministre lit alors ce projet de loi : le préambule, suivant les formes précises de la procédure criminelle, énumérait les offenses imputées à la reine, l’accusait de relations adultères avec l’Italien Bergami, racontait toutes les histoires et remuait toutes les vilenies rassemblées par la commission de Milan, après, quoi les articles de loi statuaient, premièrement : que Caroline-Amélie-Elisabeth de Brunswick, s’étant rendue indigne, par sa conduite scandaleuse et déshonorante, du titre de reine-épouse, serait, aussitôt que le bill aurait reçu l’approbation des deux chambres, déclarée incapable de jouir des droits, prérogatives, privilèges et immunités attachés à ce titre ; secondement, que le mariage du roi George IV avec Caroline-Amélie-Élisabeth de Brunswick serait annulé.

Le soir même, 5 juillet, l’huissier de la chambre des lords se rendit chez la reine et lui remit officiellement la copie du bill. La reine fut saisie d’abord d’une émotion profonde ; elle la réprima aussitôt, et, recevant le bill d’un air calme, elle dit simplement qu’elle en appelait à la justice d’un monde meilleur.