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préjuger sa cause. L’omission de son nom dans la liturgie, le refus de lui fournir les moyens de transport assurés à tous les membres de la famille royale, le refus même de lui répondre quand elle réclamait une résidence dans un des palais de la couronne, les manques d’égards dont elle a souffert à l’étranger, soit des ministres anglais, soit des agens de toutes les puissances sur lesquelles l’Angleterre exerçait quelque influence, ce sont là autant de mesures destinées à exciter contre elle les préventions du monde entier, tandis qu’elles n’auraient pu être justifiées que par un procès et une condamnation. »


Cette protestation ne pouvait arrêter le cours du procès. Lord Castlereagh se lève, et malgré les éloquentes paroles de M. Brougham il demande qu’une commission soit élue pour examiner les pièces du sac vert. Brougham riposte par un coup de maître. Il se doute bien que les ministres ne se sont résignés que malgré eux à engager cette périlleuse affaire ; sous ce masque d’une résolution d’emprunt, il devine leurs perplexités. C’est précisément par là qu’il les attaque. Sait-on ce que peut amener cette enquête ? Ce ne sera point assez de suivre la reine pendant ses voyages, de l’épier en telle ville de Suisse ou d’Italie, il faudra interroger sa vie entière, l’histoire de son mariage, l’histoire de ses affronts. La reine ne sera pas seule assise sur le banc des accusés… Mais c’est Brougham lui-même qu’il faut entendre. Il vient de signaler l’injustice de la procédure qui se prépare. Quoi ! une commission a été chargée de faire un rapport sur une cause criminelle avant que cette cause fût soumise aux juges, et c’est le poursuivant qui a nommé cette commission ! Quoi ! un comité secret va interroger des documens tronqués, et c’est le poursuivant qui dans ces documens a trié lui-même les pièces qu’il croit les plus propres à frapper ce comité secret ! Se peut-il plus grande injustice ? se peut-il aussi témérité plus grande ? Après les protestations du légiste, voici les protestations de l’homme d’état :


« Ce n’est pas seulement le caractère de la reine qui est en question ici, ce n’est pas seulement la manière dont on l’a traitée qui doit être l’objet des recherches de la justice ; non, l’histoire intime des personnes du plus haut rang avec lesquelles elle a été en relations, cette histoire intime tout entière pourra être forcément introduite dans le conflit. Ce serait un adroit personnage celui qui prétendrait circonscrire la marche de l’enquête, celui qui dirait d’avance quelles démarches pourront être jugées nécessaires par des hommes que leur devoir professionnel oblige de songer par-dessus toute chose au salut de leur client. Ce serait un audacieux personnage celui qui oserait dire que, se trouvant à la place des conseillers de la reine, il hésiterait une seconde à sauver sa cliente par des moyens désespérés. L’avocat ne doit considérer qu’une chose.