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ce sacrifice, à eux qui ne lui ont rien promis. Le procès de la reine n’aura pas lieu ; qu’à cela ne tienne ! Le roi du moins aura puni les hommes qui lui auront manqué de parole. Tenir ce langage à des tories aussi passionnés que lord Eldon et lord Castlereagh, lord Liverpool et le duc de Wellington, c’était leur mettre le couteau sur la gorge. Ils cédèrent séance tenante. Avant que la reine fût dans la maison de l’alderman Wood, lord Liverpool avait envoyé aux deux chambres le rapport de la commission de Milan.

Voilà donc la lutte engagée. Nous savons d’avance que la reine ne faillira point, la faveur populaire en est un sûr garant. Cette faveur, qui va croissant de jour en jour, n’est pas le résultat d’une effervescence passagère. Les Anglais sentent fortement et ne s’émeuvent pas à demi. À un sens pratique très précis, ils joignent des convictions élevées qui peuvent, dans les grandes circonstances, devenir des passions énergiques. Pour apprécier ces agitations de l’année 1820, oublions un instant l’Angleterre de nos jours, où quarante années d’un gouvernement parlementaire toujours exact, toujours consciencieux à travers les vicissitudes des partis, a réalisé à temps les réformes nécessaires et prévenu les violences démocratiques. À l’époque où se passent ces événemens, les exigences les plus légitimes se font jour de toutes parts et rencontrent une résistance aveugle. Deux ans plus tard, lord Castlereagh, poussé au désespoir par l’impuissance de sa politique, se coupera la gorge ; sept ans plus tard, lord Liverpool, accablé par la maladie, quittera ce champ de bataille si vivement disputé ; enfin douze années plus tard, après notre révolution de 1830, s’accomplira en Angleterre la grande réforme du parlement, signal d’une ère nouvelle. De 1820 à 1832, quel malaise dans toutes les classes de la nation ! Voilà ce dont il faut se souvenir, si l’on veut se faire une idée juste de ces explosions du sentiment public et des conséquences qu’elles pouvaient entraîner. Évidemment la reine Caroline profitait du mécontentement général soulevé par la domination des tories, et de l’aversion particulière excitée par la personne de George IV. À ces causes principales de la faveur populaire se joignent deux explications accessoires qui ont un caractère bien anglais. Tout ce peuple qui de Douvres à Londres criait si ardemment : Vive la reine ! ces paroisses, ces communes, qui de tous les points du royaume lui adressaient des vœux de victoire, ne prétendaient nullement juger sa conduite en Italie. On disait simplement, et nous ne faisons que répéter ici le résumé que lord Brougham a donné des raisonnemens de l’opinion : « À supposer que la reine ait fait tout ce dont l’accusent ses ennemis, peu nous importe ; elle a été maltraitée, elle a été persécutée, elle a été chassée de la maison de son époux, elle a été frustrée de ses droits et comme femme et comme mère, elle a été condamnée à