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rompue. Le gouvernement est décidé à commencer son procès le jour même où elle mettrait le pied sur les côtes d’Angleterre.

Telle était en substance la réponse de lord Hutchinson. Devinez-vous quelle fut la réplique de la reine ? À peine eut-elle lu le dernier mot de cette lettre qu’elle demanda des chevaux de poste, et, brûlant le pavé, se fit conduire à Calais. « M. Brougham, dit lord Campbell, n’est pas responsable de cette résolution ; il pouvait à peine en croire ses yeux lorsque de la fenêtre de son hôtel il aperçut la voiture de la reine emportée au galop. » Arrivée à Calais, elle ne descendit pas dans un hôtel, elle s’installa immédiatement à bord d’un paquebot anglais, tant elle craignait que la police française, sur des ordres venus de Paris pour complaire à George IV, ne fît obstacle à son départ. Le lendemain 6 juin, elle débarquait à Douvres.

Cette brusque apparition de la reine prit le ministère au dépourvu. Lord Liverpool la croyait encore à Saint-Omer hésitante, indécise, ou plutôt terrifiée devant l’ultimatum de lord Hutchinson, quand déjà elle était saluée à Douvres par des acclamations frénétiques. Le gouverneur de Douvres, qui n’avait pas d’ordres contraires, l’avait reçue avec les honneurs dus à la majesté royale. Simple affaire d’étiquette, cette réception n’a pas de valeur ; mais ces cris, ces hurras, cette ovation tumultueuse, comment en méconnaître le sens et la portée ? C’est le signe de l’exécration qui poursuit George IV. Sur la route de Douvres à Londres, la nouvelle du retour de la reine se propage avec une rapidité inouïe, et les paroisses, les communes, les villes, s’empressent de fêter sa bienvenue. Partout les populations accourent à sa rencontre, partout les travaux sont suspendus, les cloches sonnent à pleine volée, les conseils présentent des adresses, et la reine y répond dignement, courtoisement, selon les formules de la vieille Angleterre.

Elle arrive à Londres : nouvelles acclamations, nouveau triomphe. Ce n’est pas un des palais de la couronne qu’elle va occuper ; lord Liverpool n’a pas répondu à la lettre écrite de France par laquelle, annonçant son arrivée prochaine, elle demandait qu’on se préparât à la recevoir. Que lui importe ce refus de lord Liverpool ? Un des notables de la cité, l’alderman Wood, est allé au-devant d’elle jusqu’en France, jusqu’à Montbard ; il l’accompagne depuis cette ville, et se fera honneur de l’installer dans sa maison. C’est là qu’elle arrive le 6 juin, vers six heures du soir, au milieu d’une foule enivrée qui la salue d’applaudissemens sans fin. La maison de South Audley-street va être pendant plusieurs mois le centre de l’immense capitale. Tandis que le roi, pâle d’effroi et de fureur, s’agite au milieu de ses conseillers, la reine, dans les salons de l’alderman, reçoit les députations que lui envoient toutes les villes, tous les comtés de l’Angleterre et du pays de Galles, de l’Écosse et de