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leur garde-malade, et cela le plus naturellement du monde, sans rien qui ressentît l’ostentation ou la comédie. Quant à l’âme bizarre et maladive, que de scandales elle a donnés au monde de la restauration ! De 1814 à 1820, l’Europe est témoin de ses continuelles incartades. En Italie surtout, sa manière de vivre devient de plus en plus contraire, non-seulement aux convenances morales, mais au simple bon sens. Si elle est coupable, c’est du cynisme ; si elle n’est pas coupable, c’est de la folie. Elle s’affiche, elle se déshonore à plaisir ; il semble qu’elle veuille absolument fournir des armes contre elle-même au prince-régent et à ses conseillers. Quel est ce beau jeune homme qu’on voit si souvent autour d’elle ? Son nom est Bergami ; c’est un postillon italien, attaché naguère au service de ses écuries, qu’elle a élevé sans transition à la dignité de chambellan. En voilà plus qu’il n’en faut pour justifier les violences de ses ennemis. Un des écrivains qui l’ont jugée avec le plus de bienveillance, l’historien allemand Gervinus, n’a pas craint d’écrire ces paroles : « C’eût été un miracle, si, persécutée et blessée comme elle l’était, sa conduite fût restée irréprochable ; c’eût été un miracle, si la calomnie, qui épiait ses moindres actions, lui eût laissé une réputation intacte dans le cas où elle l’aurait méritée. » Oui, sans doute, c’eût été chose miraculeuse que la commission de Milan, organisée comme on l’a vu par sir John Leach, n’eût pas blessé à mort la réputation de la princesse de Galles, mais ce n’eût pas été un miracle que sa conduite fût restée sans reproche. L’Allemand Gervinus ignore-t-il que la conscience est une force et le sentiment de la dignité une sauvegarde ? Si la princesse de Galles n’eût pas eu la tête si faible, sa conscience et sa dignité lui auraient dit qu’elle devait redoubler de surveillance sur elle-même, rester en Angleterre, supporter les humiliations, opposer à l’insulte une fierté résignée, défendre silencieusement la majesté royale outragée par un prince pervers. En agissant de la sorte, elle eût fini bientôt par écraser son ennemi. Fallait-il pour cela un miracle ? Un peu de bon sens suffisait, puisque son intérêt et son devoir étaient d’accord. Au lieu de comprendre ainsi son rôle, froidement, étourdiment, sans nulle passion, bien plus, contrairement à la seule passion qu’elle ait jamais connue, — le désir de se venger du régent, — la malheureuse insensée se précipite au-devant de la honte, et de l’abîme.

La commission de Milan n’eut donc pas de peine à rassembler les pièces sans nombre de cette œuvre d’ignominie. Il y avait bien des choses à dire pour qui voulait parler ; espions et délateurs ne se firent pas faute d’en raconter cent fois plus. L’imagination est vive chez le peuple italien, et ce ne sont pas les scrupules qui font taire la valetaille. Si ce qu’on a vu est trop peu de chose, on y ajoute ce qu’on a cru voir. Les interprétations vont leur train. On sait qu’on