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conséquences politiques les plus graves ? Était-ce bien aux tories qu’il convenait d’abaisser ainsi la dignité royale ? Au milieu des crises que traversait le pays, pouvait-on impunément réveiller le souvenir des plus mauvais jours ? Oserait-on enfin exhumer de l’arsenal des vieilles législations les décrets horribles qui avaient protégé la tyrannie d’Henry VIII ? Il y avait certes bien des raisons d’hésiter pour un homme tel que lord Eldon. Ces raisons ne sauraient toucher sir John Leach, il les ignore. Les convenances éternelles, les exemples de l’histoire nationale, qu’est-ce que cela ? Lord Brougham, grand lecteur de Cicéron, affirme que l’orateur romain a tracé le portrait de sir John Leach le jour où il a dépeint en ces termes les plus misérables praticiens du barreau de Rome : « Nullum ille poetam noverat, nullum legerat oratorem… Il ne connaissait aucun poète, il n’avait lu aucun orateur, il ne savait rien de l’histoire des temps passés, il n’était initié ni aux lois de l’état, ni au droit civil et particulier. Cet homme est un exemple remarquable de ce qu’on peut faire dans cette ville en prodiguant à beaucoup ses soins officieux et en servant un grand nombre de citoyens dans leurs périls ou leurs ambitions. C’est par là que, né dans un rang obscur, il parvint aux honneurs, à la fortune, à la considération, et se fit même, sans talent ni savoir, un certain nom parmi les avocats[1]. »

Sir John Leach ayant eu l’idée d’instituer une commission d’enquête chargée d’aller recueillir en Italie les faits et gestes de la princesse de Galles, ce fut à lui que le régent confia le soin d’en choisir les membres. Le conseiller privé devenait une sorte de ministre, le ministre des vengeances occultes. Sir John désigna trois personnes de carrières fort différentes, mais animées du même esprit, agens dociles à toutes ses instructions et aveuglément dévoués au prince. C’étaient un avocat de la chancellerie, M. Cooke, un procureur (attorney) et un colonel de l’armée anglaise. Les trois commissaires furent nommés au mois de mars 1818 ; ils se réunirent à Milan au mois de septembre de la même année, se mirent immédiatement à l’œuvre, établirent des surveillans, interrogèrent les gens de service, cherchèrent enfin de tous côtés et par tous les moyens les personnes qui, à un titre quelconque, avaient pu approcher de la princesse de Galles. Il suffisait de l’avoir vue, de l’avoir entendue ; une indication pouvant amener une découverte utile, les commissaires accueillaient tout, et chaque témoignage était

  1. Ces lignes, que la malice de lord Brougham a si adroitement rassemblées, forment deux passages distincts dans le Brutus de Cicéron ; le premier s’applique à un certain Cépion, orateur sans étude, le second à un certain Arrius, avocat pour tout faire. Il a fallu, suivant lord Brougham, joindre la servilité d’Arrius à l’ignorance de Cépion pour exprimer la ressemblance complète de sir John Leach.