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reconnaître, tout cela eût semblé abominable, si la raison d’état n’eût atténué les indignités de cette procédure. Il est convenu chez de certaines gens que la politique n’a pas de cœur. La politique voulant que le prince eût un héritier, il fallait absolument que le prince se réconciliât ou divorçât avec la princesse. Se réconcilier, c’était chose impossible ; restait donc le divorce, mais on ne pouvait songer au divorce qu’après avoir publiquement flétri la princesse de Galles. De là la commission de Milan. Le prince-régent pouvait dire avec une tristesse hypocrite que la flétrissure de la princesse était une nécessité pénible, profondément pénible, mais une nécessité impérieuse à laquelle il n’était pas libre de se soustraire ; en réalité, c’était ce but seulement qu’il poursuivait. Après avoir poussé la princesse au mal par l’infamie de sa conduite, il ne lui restait plus qu’à la traîner dans la boue. Telles étaient les idées d’honneur et de justice chez celui que ses flatteurs appelaient le premier gentilhomme de l’Europe.

L’homme de loi qui, pour complaire au régent, avait préparé l’exécution de ce guet-apens, était un des plus tristes personnages du barreau de Londres. Il faut lire dans les pages mordantes de lord Brougham le portrait qu’il trace de son ancien confrère, sir John Leach. Représentez-vous un roué de bas étage, un de ces agens ténébreux comme en produit chez nous le domaine de la chicane, avec ce masque de gravité que l’hypocrisie porte si naturellement en Angleterre. À voir agir ce drôle, on le prendrait quelquefois pour un homme supérieur. Sir John Leach est un esprit des plus intelligens ; habile, audacieux, plein de ressources, d’autant plus fertile en expédiens qu’aucun scrupule ne l’arrête, il aime surtout les causes que repousserait l’honnêteté de ses confrères. Celle-là devait lui convenir entre toutes. Quelle occasion de déployer son génie ! Il a pour client le prince-régent en personne, et l’affaire dont il est chargé lui donne l’occasion de travailler avec les ministres. Le voilà qui monte au rang des hommes d’état. Les vrais hommes d’état, ceux qui ont la responsabilité de la chose publique à cette date, lord Liverpool, lord Castlereagh, s’inquiètent de voir le régent s’engager dans cette voie, le lord chancelier a bien des scrupules ; sir John Leach n’hésite pas, il a réponse à tout, sa manière subtile d’interpréter les lois- du royaume lui fournit à tout coup des argumens inattendus. Pourquoi lord Eldon se croit-il obligé à tant de ménagemens ? Parce que lord Eldon, le chef du parti tory, est à la fois un caractère grave et un politique prévoyant. Au-dessus des lois écrites, il y a en tout pays les lois éternelles de l’humanité ; c’était l’idée de ces lois éternelles qui empêchait lord Eldon et ses amis de céder si vite aux passions du régent. En outre n’y avait-il pas lieu de craindre que cette procédure monstrueuse n’eût les