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des hymnes nationaux et entendu des leçons d’histoire, si « éveillés » qu’on les suppose, ne peuvent faire, sauf le cas d’aptitudes exceptionnelles, que d’assez chétifs politicians. Les Danois ne devraient jamais oublier la belle comédie où leur grand comique Holberg peint avec une verve que Molière n’eût point désavouée les mésaventures d’un pauvre potier d’étain qui se croit nommé bourgmestre de Hambourg. Il serait triste que des écoles créées et dirigées avec un si admirable dévoûment devinssent des pépinières de politicians, ou, comme disent les Danois, de kandestöber[1]. C’est l’écueil contre lequel elles viendront se heurter, si le bon sens public ne fait justice de ces velléités inquiétantes.

Mais il ne faut point exagérer la portée de ces symptômes, En somme, les hautes écoles sont un legs précieux de Grundtvig au Danemark, plus précieux que des doctrines politiques et religieuses qui vraisemblablement n’auront qu’un temps. On a vu déjà que le grundtvigianisme, comme parti politique, était en dissolution et avait perdu sa raison d’être en opérant sa fusion dans la « gauche réunie. » Comme doctrine religieuse, il a été utile en donnant une vive impulsion au christianisme dans le nord ; mais en répandant dans les masses le goût de l’instruction, en tenant école de patriotisme, il peut exercer une influence puissante et salutaire sur l’avenir du pays. Est-il besoin de dire que nous faisons les vœux les plus sincères pour qu’il remplisse avec succès cette noble mission ? Le sort du Danemark ne saurait être indifférent à une âme française. Ce petit royaume, si courageux dans le malheur, est notre vieil ami, l’ami dans la bonne et dans la mauvaise fortune. Depuis les temps héroïques où Ogier le Danois qui « cuardise n’out unkes. » combattait pour la « douce France » aux côtés de Charlemagne, jusqu’à l’époque des guerres du premier empire, l’amitié des deux peuples ne s’est jamais refroidie. Seul de tous les états de l’Europe, le Danemark n’a jamais été en guerre avec nous. Jadis il était l’allié de nos rois, aujourd’hui la France malheureuse et démembrée trouve des sympathies profondes chez cette vaillante nation qui a aussi son Alsace-Lorraine à pleurer. Le Danemark s’intéresse à nos efforts pour réparer les maux de la guerre et rétablir au dedans l’équilibre que nous avons perdu. Lui aussi, du reste, il a besoin de retrouver la paix intérieure, compromise par les compétitions des partis, mais les belles et nobles qualités du caractère national, jointes à la fermeté du gouvernement, permettent d’espérer que la crise actuelle ne sera qu’une épreuve momentanée.


GEORGE COGORDAN.

  1. Le mot handestöber (potier d’étain) a passé en proverbe dans la langue danoise depuis la comédie de Holberg dont nous parlons, qui est intitulée le Potier d’étain politique. Cette remarquable pièce a été plusieurs fois traduite en français.